Yoan Demoz (Cinex) raconte le festival Sport N’Doc : « Capturer le réel »

Yoan DEMOZ nous dévoile les coulisses du festival Sport'N'Doc...

Nous évoquions dernièrement le festival Sport N’Doc avec des tournages prévus à partir du mois de janvier dans plusieurs lycées grenoblois. Pour vous faire patienter jusque-là, nous avons interrogé Yoan Demoz, réalisateur de films documentaires et coordinateur global au sein de l’association Cinex, partie prenante du projet. Il nous dévoile les coulisses de ce festival.

Quelle a été votre réaction quand on vous a présenté ce projet ?

J’étais hyper intéressé. Pour rappel il a débuté l’année dernière avec une classe de première du lycée Louise Michel. Suite à cela, l'idée a émergé de faire un festival inter lycées. Je fais beaucoup d'atelier avec les jeunes et j’adore filmer le sport donc j’étais très emballé par cette initiative. Je trouve que c’est une super aventure pour mettre en relation les jeunes et faire des films autour de différentes pratiques sportives. On espère faire découvrir les sections sportives des lycées mais aussi procurer des émotions.

Comment aiderez-vous les élèves ?

L’idée, avec toute notre équipe de réalisateurs et réalisatrices, est d'accompagner les jeunes qui filment en leur ouvrant un petit peu les portes du monde de la vidéo et du cinéma documentaire. Ce cinéma est une pratique assez peu connue. On entend souvent par documentaire un apprentissage sur un sujet, nous on l'entend plus comme étant une immersion dans une réalité qu'on ne connaît ou ne côtoie pas, pour la faire découvrir, à l’aide de moyens artistiques.

C’est sympa de travailler avec des lycéens, ils ont leur propre regard sur la société ?

Oui bien sûr, leur propre regard avec des codes qui les concernent et une manière souvent différente d'aborder les choses. Sans que cela soit forcément spécifique aux lycéens, quand on se lance dans une pratique artistique, on se polarise souvent sur des choses déjà vues et on oublie un petit peu d’apporter son propre regard et son propre point de vue sur le monde. Je les invite vraiment à se libérer des clichés classiques, formatés tels que l'on a l'habitude de voir, pour vraiment réfléchir sur l’image et essayer de développer un point de vue un petit peu plus artistique et personnel. C'est vrai qu’on est tous un peu conditionnés par ce qu'on regarde et les jeunes aussi, ils sont baignés dans les réseaux sociaux, TikTok tout ça … On essaye de décaler un petit peu à la fois les manières de faire mais aussi se servir de son propre regard pour créer.

Vous parliez de l’influence des réseaux sociaux, les élèves sont dans la volonté de faire « le buzz » ?

Non, en réalité c'est juste que lorsqu’ils réfléchissent à un format, ils vont en imaginer des déjà vus, qui leur sont les plus proches. Quand on dit documentaire par exemple, ils vont penser à des documentaires de télé classiques, surtout sur le sport, ils vont vouloir faire un peu à l’image de BeIn Sport ou Netflix, ou alors effectivement dans une forme très réseau social. En réalité c'est juste un point de départ parce que c'est un premier ressenti. Après, vraiment, l'idée n'est pas de faire un produit vu, déjà vu et revu, c’est de travailler l'image et de trouver une forme singulière, essayer de créer quelque chose aussi un petit peu nouveau, sans forcément s'affranchir de tous les codes, mais essayer de dépasser cela pour proposer un produit personnel avec une touche de sensibilité.

Le premier conseil que vous leur donneriez ?

Sans parler de l’aspect technique de la caméra, c’est d’abord le rapport qu'on va entretenir avec la personne filmée, il s’agit d’établir une relation de confiance, qu’elle sache quand la caméra filme, qu'elle soit consciente que nous ne volons pas les images. Ensuite filmer c’est poser un cadre, le composer. On réfléchit à la hauteur de la caméra, son axe, plan large, plan serré… et surtout ensuite on filme le plus longtemps possible jusqu'à ce que la scène qu'on a envisagé de capturer s'épuise. C’est souvent un problème car si on fait un plan qui dure 20 secondes, tout le monde trouve ça extrêmement long, mais on a besoin de cette matière. On peut enlever au montage ce qui nous intéresse le moins mais on ne peut rajouter. Si on fait un plan de 5 secondes et qu’au montage il en faut 6, la seconde qui manque fait que la scène est perdue. Je leur dis vraiment de filmer longtemps, laisser tourner la caméra, même si cela semble difficile de faire des plans longs. J’insiste, ce n’est pas grave, au montage on choisira quel est le meilleur passage de tout ce qu'on a filmé.

Autre point important, quand on va filmer par exemple 2 heures d’un entraînement, on n’y va pas avec une idée bien précise. On regarde et ensuite on commence à filmer, même des choses qu'on n’avait pas prévues, ni même imaginées. On peut filmer parfois des choses improbables. On va tenter et si ça n’apparaît pas dans le film, ce n’est pas grave.

Cela peut être l’envol d’un oiseau ?

Oui tout à fait, cela peut-être un oiseau qui va s'envoler, quelque chose qui nous servira peut-être au moment du montage. On aura besoin de ce plan là à un autre moment, un instant plus poétique qui peut vraiment être un plus. Il ne faut pas se focaliser sur un objectif précis, mais rester ouvert à toutes les possibilités.

Quelles sont les erreurs à éviter quand on réalise un film ?

L'erreur à ne pas faire serait plus de poser sa caméra, choisir un axe et vouloir zoomer car on a aperçu quelque chose d’intéressant à l’image, et on souhaite se rapprocher. Si on zoome, ce ne sera plus lisible, il vaut mieux filmer tel quel. Je donne un autre exemple ; si le plan est un petit peu bancal, on voit sur la ligne d'horizon de la caméra que le terrain un petit peu penché, et à ce moment-là il se passe vraiment quelque chose d’important à l'image, tant pis on laisse, on ne cherche pas à recadrer, ce n’est pas le plus important. On verra plus tard au montage. Soit on le laisse un peu bancal et souvent les gens ne le remarquent même pas, soit après on le redresse en post production. Le plus important, c'est vraiment de capturer le réel et on voit ensuite l'esthétique.

Il faut se libérer des contraintes techniques ?

Oui, c’est ce qui fait le charme des documentaires, rester dans l’instant et privilégier le fond sur la forme. D'ailleurs, souvent, les petites erreurs de forme donnent aussi beaucoup de charme et d’humanité au final.

Une chose importante à ajouter sur ce projet, une réflexion qui mérite d’être mise en avant ?

Les ateliers pédagogiques autour de l’image me semblent très importants. Ces projets sont collectifs et le fait de travailler en groupe, que les élèves discutent, débattent de choix, trouvent un chemin commun pour réaliser leur film et qu’à la fin, ils en soient fiers, c’est vraiment positif. Il faut savoir que parfois les jeunes s'ennuient sur un tournage, parce que c'est long, et généralement ils nous le font savoir, mais à la fin, ce qui est toujours hyper beau lorsqu’ils présentent leur travail au public, ils sont très engagés et sont généralement très fiers de montrer ce qu'ils ont fait, d’expliquer comment ils ont procédé, de partager cette expérience. Cela leur procure du plaisir, je trouve cela hyper positif.

Un projet avec en point d’orgue la diffusion de l’ensemble des films ?

Oui, fin mai normalement. Le fait justement qu'il y ait un « concours » entre plusieurs lycées est surtout un prétexte pour donner plus de dynamisme au projet. Nous n’avons pas encore trop discuté de savoir si l’on décerne un prix ou non. Personnellement, je ne suis pas trop pour la compétition même si je sais que cela motive aussi les jeunes, c’est quelque chose qui est dans la logique sportive et cela peut être chouette, effectivement, cette petite carotte comme quoi on va essayer de faire le meilleur film. Malgré tout, le but principal est vraiment de se retrouver, de connaître d'autres élèves, d'autres lycéens qu’ils n'auraient jamais croisés, dans un grand moment où les films seront partagés. L’idée est de vivre un moment sympa. Cela pourra ouvrir des portes et faire tomber des barrières liées aux classes au sein même des lycées, des jeunes sportifs vont pouvoir rencontrer d’autres élèves à travers les films, c’est aussi l’idée de ce projet. 

Que peut-on vous souhaitez à l’avenir, RDV à Cannes ?

Pour être honnête, Cannes, ce n’est pas trop mon truc, mais maintenant, si un film est sélectionné... (rires)

 

 

 

Mise à jour : juin 2024