Avec quoi l’acteur joue-t-il ? Une question à portée philosophique à laquelle pourront certainement répondre les élèves des lycées grenoblois Mounier, Argouges et Stendhal à l’issue de cette année qui s’annonce artistique.
En attendant, les lycéens volontaires étaient réunis ce mercredi 11 septembre à l’Hexagone Scène nationale de Meylan, partenaire culturel historique, à l’occasion du lancement des enseignements optionnels théâtre mutualisés.
Le théâtre au centre de toutes les attentions !
À l’image de l’éducation artistique et culturelle (EAC), l’art théâtral favorise l’épanouissement individuel et collectif de tous les élèves, en les rendant sensibles à leur environnement, aux autres et à l’esthétique du monde qui les entoure. Les élèves apprennent ainsi à développer leur créativité et à partager une culture commune. Voici pour les textes officiels. Des propos engagés validés récemment par la mise en place de la part collective du Pass culture permettant de financer des sorties culturelles avec son établissement, ou encore le développement de l’application ADAGE, plateforme numérique de l’éducation nationale dédiée à la généralisation de l’EAC pour les premier et second degrés. Enfin, point fort de cette rentrée, le ministère de l'éducation nationale souhaite aller encore plus loin dans l’accompagnement culturel, en faisant du théâtre un « passage obligé » pour les collégiens, le tout en actionnant trois leviers : la connaissance, la rencontre et la pratique. Un plan national de formation est ainsi prévu en janvier 2025 pour accompagner cette ambition.
Option Théâtre à l’Hexagone, the place to be…
« Vous êtes réunis ici car vous êtes passionnés de théâtre ou en passe de le devenir, vous allez voir, vous allez passer une super année ! »
La quarantaine de lycéens, installé confortablement dans les fauteuils de l’hexagone boit les paroles de Magalie Gheraieb, chargée des relations avec le public scolaire. Cette dernière souligne le partenariat avec la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) et la DAAC (Délégation Académique aux Arts et à la Culture), permettant l’intervention régulière de trois artistes professionnels choisis par la scène nationale pour travailler avec les élèves. Cette année ce sera avec Anne Castillo, Geoffroy Pouchot-Rouge-Blanc et Charlène Girin. Magalie Gheraieb ponctue son intervention courte mais incisive sur une double invitation alléchante : « Rdv ici-même lundi 26 mai pour votre propre représentation sur scène. Avant cela on finira l’après-midi par un petit pot de bienvenue. » Tout le monde semble emballé.
Au tour de l’équipe enseignante d’assurer un temps d’information et de présentation. Mêlant pédagogie et touches humoristiques, les professeurs de français labellisés théâtre Carole Néel (professeur relais), Anne Pommeray (Argouges), Kashia Dartigolle (Mounier) et Olivier Spony (Stendhal) détaillent le programme à venir, évoquant pêle-mêle les futures rencontres avec des collégiens, « rassurantes pour tout le monde », les questions administratives, les déplacements auto-responsables lors des sorties culturelles, l’organisation des cours le mercredi après-midi à Stendhal pour les secondes, Mounier pour les premières et Argouges pour les terminales, ou encore la fameuse question des absences, à justifier évidemment. L’occasion d’appeler au dialogue et à une responsabilisation, synonyme d’un engagement réciproque : « Le théâtre c’est un sport collectif, il faut souder le groupe le plus rapidement possible et faire que l’on puisse compter les uns sur les autres. »
Un dernier mot sur le parcours spectateur prévu dans différents lieux culturels de l’agglomération grenobloise tels que l’Hexagone, la MC2 ou encore le théâtre 145 : « c’est toujours hyper intéressant d’assister à un spectacle car faire du théâtre c'est apprendre à être spectateur, il faut se nourrir de ce qu’on voit. Vous avez de la chance c’est le Pass région qui finance les spectacles mais attention, ici pas de consumérisme » .D’où l’idée de responsabilisation…
Assez parlé, il est temps de libérer cette fougue et cette énergie en investissant le plateau pour quelques exercices pratiques, collectifs et ludiques.
« Il n’y aura pas de champagne pour tout le monde » !
Cette phrase est déclinée à l’infini par les élèves qui investissent tous les recoins de la scène. En solo, par groupe de deux, trois ou quatre, à voix haute, à voix basse ou murmurée à l’oreille d’un … mammouth, qu’il faudra tuer avec sa lance dans le prochain exercice, les enfants esquissent les premiers pas du jeu avec leur voix et avec leur corps.
On quitte la scène désormais pour se diriger vers le centre des arts. Cela nous laisse le temps de recueillir les premières impressions de Bazil et Laeticia, tous les deux en classe de seconde au lycée Argouges : « Le théâtre c’est intéressant, c’est stylé parce ça peut ouvrir des portes vers le domaine de l’acting, le monde du cinéma. Cette présentation et la rencontre avec d’autres lycéens nous a conforté dans notre choix, ça nous a bien plu et l’ambiance est sympa ».
Les élèves forment trois groupes hétérogènes, l’idée est d’imaginer une petite saynète à jouer dans quinze minutes devant les autres groupes.
Le hasard nous conduit à suivre Anne Pommeray qui invite ses élèves improviser. Les élèves planchent alors sur un scénario d’une personne accidentée avec des passants, un brin provocateur, lui reprochant : « elle n’avait qu’à faire attention !».
On imagine alors une scène avec des variations sur tous les tons autour de cette phrase. L'ambiance est détendue et studieuse. Anne Pommeray influe son dynamisme au groupe, alternant directives et conseils avisés : « Comment on démarre, comment on termine ? On invente son scénario, il faut l’amener l'impro. Il peut y avoir un temps assez long avant le texte. On joue avec les expressions, tu te déplaces et tu discutes en répétant cette phrase, il faut engager le corps dans la scène et conclure notre prestation. Regardez-vous pour savoir quand parler ».
Un pot de l’amitié vient ponctuer cette riche après-midi et sceller ce partenariat, de longue date, entre l’éducation nationale et scène nationale de l’Hexagone. Quant aux élèves, ils se retrouveront à l’Hexagone pour une soirée commune le 26 mai – soirée Premières scènes – où ils présenteront leur travail dans des conditions professionnelles.
Avec un tel enthousiasme et une telle collaboration, le théâtre n’aura jamais été un art aussi vivant, contemporain et collectif, une belle aventure humaine en somme…
L’interview en + : « Nourrir les citoyens de demain »
Nous avons profité d’un petit moment d’exercices des élèves sur scène pour parler théâtre et enseignements optionnels avec les deux co-pilotes de ce projet au sein de l’Hexagone Scène nationale de Meylan, Magalie Gheraieb, chargée des relations avec le public scolaire et Cécile Gauthier, responsable du service des relations avec le public.
Avant que vous nous racontiez le dispositif, pourquoi faut-il que les jeunes fassent du théâtre ?
C’est une sacrée question (rires). Alors ce n’est pas une obligation, c’est surtout un moyen d'expression, un regard sur le monde et aussi une autre manière de l’appréhender. C'est la richesse de découverte de textes, d'artistes qui ont beaucoup de choses à dire, d'auteurs ou d'autrices qui ont un regard sur la société. C'est une manière de se nourrir de toutes ces pensées, et par la parole et par le corps.
Cela permet aux enfants de gagner de la confiance en soi et de l'aisance ?
En jouant, en essayant, en étant guidé parce qu'il y a les enseignants qui les accompagnent, et ça c'est très important, il y a quand même des jalons qui sont posés pour avancer. Ce n’est pas juste « je monte sur scène et je fais ce que j'ai envie ». C'est un accompagnement important. Toutes ces relations aux textes et aux points de vue d'artiste, d’auteur de théâtre, scénographe et bien cela nourrit aussi son propre point de vue, donc cela donne de l'aisance aux jeunes parce qu’ils vont reconnaître des pensées, des espoirs, des questions, de la colère qu’ils peuvent ressentir mais ils n’ont pas toujours les mots pour le dire. Les artistes, ils servent aussi à ça, et se confronter à un texte de théâtre c'est aussi aller chercher ce qu’il raconte, est-ce que ça me parle, est-ce que je suis d'accord, pas d'accord ? Donc cela permet de construire un point de vue et oui on est plus à l’aise avec son corps parce que l’on va s'habituer au regard des autres sur soi, parce qu'on va prendre la parole, enfin la parole de quelqu'un d'autre, ce qui parfois est un peu plus facile, mais ça nous permet de dire des choses qui nous touchent.
Et on construit des citoyens libres et éclairés ?
Exactement.
Parlons du dispositif enseignements optionnels théâtre mutualisés, quel est l'intérêt de mutualiser, au-delà de la richesse des rencontres ?
Les rencontres, c’est déjà beaucoup (rires). L’idée c'était au départ de mélanger des élèves qui n'auraient pas eu l'occasion de se croiser. On a un lycée de centre-ville et deux lycées de la périphérie de Grenoble, c'était pour faire ensemble avec la mixité des publics. C’est sans doute aussi une manière de mutualiser les moyens. Nous avons fait le choix de faire en sorte que chaque établissement soit représenté, parce qu'on aurait pu faire tous les cours dans un même lycée, mais on voulait que chaque lycée ait son niveau d’apprentissage.
Quelle est la thématique de cette année ?
On la décide en collaboration avec les artistes et les enseignants, et cette année le thème est Singulier-pluriel. On établit toujours des ponts avec la programmation de l'Hexagone parce que nous, notre matière c'est le spectacle. Cela aurait également pu s’appeler « ici et ailleurs », car dans la programmation il y a cette année des artistes qui viennent d’un peu partout en Europe et dans le monde, c’est assez cosmopolite. Singulier-pluriel pour souligner également l’importance du vivre ensemble, le thème est suffisamment large pour ne pas enfermer les artistes et les professeurs dans le choix de l'œuvre.
Cette collaboration avec les artistes, c’est aussi la clef de voute du projet ?
Oui c'est ça. Il est important de rappeler que dans le cadre de ce partenariat avec l'Hexagone, les élèves inscrits dans cette option viennent voir trois spectacles dans l'année. Il y a donc aussi cette expérience du spectacle professionnel qui est importante pour nous. On pratique en amateur mais il faut aussi affiner son regard sur les propositions professionnelles, rencontrer les artistes, le metteur en scène etc. Grâce au soutien de la DRAC et de la DAAC, l'Hexagone cherche des comédiens professionnels qui pourraient intervenir auprès de ces jeunes sur une durée de 20 heures de présence lors de chacune des années. Il est important de souligner l'importance des artistes qui travaillent en binôme ou en équipe, ensemble avec l'enseignant. Même s’il ne s’agit que de quelques séances, cette rencontre avec l’artiste fait la richesse de l’option, elle magnifie un peu le tout. Ils apportent leur propre compétence d'artiste comédien et avec le professeur, qui lui aussi a un diplôme pour enseigner le théâtre donc des références et du savoir-faire, ils croisent ensemble leurs points de vue pour rendre ce parcours aux élèves le plus riche possible.
À propos du parcours spectateur, quel est l’intérêt d’assister à des pièces de théâtre ?
L’enrichissement, la découverte de différents univers artistiques. Ils ne viennent pas forcément voir que du théâtre. Dans les choix il peut y avoir de la danse notamment, l'idée c'est vraiment d'ouvrir vers d’autres spectacles vivants.
Avec en point d’orgue une représentation sur la scène de l’Hexagone le 26 mai ?
Tout à fait, cette collaboration entre l’artiste et l’enseignant aboutit à une présentation de 45 minutes de spectacle sur la scène de l'hexagone avec du temps de répétition en amont, l’aide de l'équipe technique du théâtre, les projecteurs, les coulisses etc. le tout dans les conditions professionnelles.
J’en profite pour rappeler qu’un mercredi dans l’année on fait visiter le théâtre aux secondes qui viennent d'arriver, on explique tous les métiers cachés de la scène pour vraiment découvrir toutes les coulisses d’un spectacle.
Vous souhaiteriez qu’ils deviennent des comédiens professionnels ?
Pas du tout, l'idée de ces options n’est pas forcément de créer des comédiens, c'est vraiment de nourrir les citoyens de demain, pour leur plaisir personnel et développer des compétences pour eux mais aussi d'infuser le fait de se familiariser avec la culture, que le spectacle est vivant, très varié, qu’il ne faut pas avoir peur de rentrer dans un théâtre quand on est adulte. Vraiment, on souhaite insuffler cette idée que la culture en France doit être vivante et qu’elle doit continuer à exister.
Dernière question, tirée des programmes pédagogiques, avec quoi l’acteur joue-t-il ?
C’est une colle çà (rires). Il joue avec les mots, avec le langage, avec ses émotions, enfin il ne joue pas avec mais il s'appuie sur les émotions des spectateurs.
Mise à jour : septembre 2024