« Un bon début » : Le projet Starter, ce n’est pas du cinéma !

Un bon début, sortie du film le 12 octobre

Lancé il y a 11 ans par l’académie de Grenoble, le projet Starter a l’ambition de donner une seconde chance à des enfants à la marge du système scolaire. Initiative unique en France, elle est désormais à l'affiche avec la sortie du film « Un bon début », au cinéma le 12 octobre.

Lancé il y a 11 ans par l’académie de Grenoble, le projet Starter a l’ambition de donner une seconde chance à des enfants à la marge du système scolaire. Initiative unique en France, elle est désormais sous le feu des projecteurs à l’occasion de la sortie du film « Un bon début », le 12 octobre au cinéma.

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Tourné lors de l'année scolaire 2019/2020, ce film documentaire retrace le quotidien des élèves, enseignants et adultes qui les accompagnent. Des réussites, des échecs, des joies, des peines…
Réalisé par Agnès et Xabi Molia, ce projet un peu fou est porté par Antoine Gentil, 45 ans, professeur référent Starter au lycée Guynemer, héros malgré lui de cette fiction réalité qui fait l’unanimité auprès de la presse spécialisée.
Antoine Gentil, sollicité de toute part, nous a gentiment accueilli au sein de son établissement pour évoquer ce dispositif Starter et la genèse de ce film.

Loin de Cannes et d’Hollywood, du strass et des paillettes… entretien avec Antoine Gentil, un prof simple, bien dans son lycée Guynemer, bien dans sa Starter !

 

 

Interwiew d'Antoine Gentil

Non pas du tout, c’est Antoine Gentil, bien présent dans mon lycée (rires). Je n’ai pas demandé une seule journée d’absence à ma hiérarchie car je tenais à continuer mon travail, malgré de nombreuses sollicitations à l’occasion de la sortie du film. Non, moi c’est Antoine Gentil, enseignant spécialisé coordonateur du dispositif starter au lycée Guynemer. J’en profite pour insister sur le fait qu’il s’agit d’un projet collectif très fort dont je suis le pilote certes, mais j’ai surtout la chance de travailler avec des collègues formidables, complémentaires et très investis. Nadia Touati est présente depuis le début du projet. Elle est professeur de lycée centrée sur une mission d’enseignement en français avec l’attention, la rigueur et la patience que le public requiert. Véronique Eugène, enseignante de mathématiques, nous a rejoint depuis cinq ans et apporte toute sa douceur et ses qualités pédagogiques pour enseigner une matière très compliquée à transmettre à un public en difficulté. Moi de mon côté, je prends en charge les missions d’enseignement spécialisé et m’occupe également de mise en stage, découverte professionnelle et orientation.

Je suis leur enseignant tout simplement, un prof référent.

Et confident ?

Je ne vais pas chercher la confidence, je ne suis pas du tout intrusif mais je suis quelqu’un sur qui ils peuvent compter, c’est important. Je suis attentif à la part sensible de l’acte éducatif. C’est-à-dire que j’essaie de faire preuve d’empathie et diffuser des micros traces d’hospitalité. Je fais également attention aux signaux communicationnels que je renvoie, qui vont faire que la personne se sente en confiance, valoriser ou bien accueillie, surtout quand ça ne va pas. Le matin par exemple, je reçois mes élèves au portail et tout se joue en un regard. Cela permet de savoir celui qui ne va pas bien aujourd’hui et comment nous allons lui proposer un temps d’échange afin de comprendre ses problèmes, avant de lui demander des tâches purement scolaires.

Il a surtout permis d’observer mes élèves car ce documentaire leur est consacré. Il apporte un éclairage sur ce qu’ils vivent ici au dispositif Starter et dans leur vie privée, et c’est tant mieux car ils méritent d’être valorisés.

C’est vrai qu’il montre aussi mon travail mais ne modifie en rien mon métier, si ce n’est qu’il met en lumière le projet d’une équipe de l’éducation nationale, et j’associe tout le monde, de la directrice académique de l’Isère à l’agent d’accueil du lycée Guynemer à Grenoble. Depuis dix ans, vraiment tout le monde a participé et participe à ce beau projet.

C’est une histoire assez forte. Avec Xabi Molia (ndlr, coréalisateur du film) nous nous sommes rencontrés lors des obsèques d’un ami commun, Matthieu Giroud, un ami très très cher décédé lors de l’attentat du Bataclan. C’est, c’était un jarrois tout comme moi (ndlr, Jarrie-champ, commune dans la banlieue de Grenoble). J’étais très très proche de Matthieu et suis encore très proche de sa famille. Matthieu vivait à Paris et Xabi était un ami parisien. Le jour de la cérémonie, Xabi est venu me trouver, nous avons d’abord échangé sur notre amitié commune avec Matthieu. Ensuite il est revenu me voir, s’est intéressé à mon métier et puis un jour il m’a téléphoné pour me proposer de tourner un film autour du projet Starter.

Il avait déjà réalisé un documentaire intitulé « le terrain » en suivant pendant un an le club de foot d’une des villes les plus pauvres de France. Il était à la recherche d’un autre projet, d’un autre endroit. J’ai accepté pour deux raisons, la première parce qu’il y avait la présence de notre ami Matthieu avec nous, cela a scellé une espèce de confiance totale, un lâcher prise très fort pour moi. Et deuxièmement c’est lié aux personnalités de Xabi et sa sœur Agnès, deux êtres d’une sensibilité extrême, qui souhaitaient s’intéresser à la complexité de ce qui se joue ici, sans rien simplifier, sans raccourcis.

Totalement, c’est même prodigieux. Pour le coup, c’est impressionnant cette capacité à se faire oublier. Mikaël Lefrançois, le caméraman, est habitué à tourner dans les quatre coins du monde et à se fondre facilement dans le décor. Incroyable, il mesure 1,80 m et est capable de disparaître dans un coin, sur une chaise. Notre classe était équipée d’une multitude de micros accrochés au plafond, cela ressemblait à des guirlandes, mais là encore vite oubliés.

Il faut dire qu’il y a eu un gros travail de préparation, un repérage de deux ans qui fait que le tournage a pu se dérouler en toute fluidité. Les élèves étaient prévenus que les caméras seraient présentes dès le premier entretien de début d’année. Les familles et les jeunes ont été très réceptifs car ils comprenaient le sens du documentaire, et puis cette génération passe son temps à se filmer, ils sont très habitués à la caméra en réalité.

Au final, ils ont proposé selon moi un projet très fort et honnête qui reflète bien la réalité du dispositif Starter.

Starter, pour résumer, c’est un projet de raccrochage scolaire, sauf que quand on a dit cela, on n’a pas dit grand-chose. Il faut d’abord préciser que ce projet s’adresse à des jeunes de 14/15 ans, à savoir qu’ils sont encore dans le cadre de l’obligation scolaire et qu’on ne peut pas encore qualifier de décrocheurs. Nous sommes encore dans un système de prévention avec Starter et l’idée est de faire collaborer toutes les équipes de l’éducation nationale, partenaires et travailleurs sociaux afin de construire un projet sur le dispositif adapté à chaque enfant.

Nous accueillons chaque année 15 jeunes résidants inscrits dans des collèges de l’agglomération grenobloise, tous repérés en situation de rupture socio-scolaire, c’est-à-dire des jeunes en fragilité avec leur scolarité suite à des problématiques psycho-sociales.

 

L’idée de ce dispositif est de s’adresser aux plus sensibles. Nous avons travaillé en équipe pour élaborer, dès le début de Starter, des critères très précis définissant la vulnérabilité des adolescents candidats. On s’adresse d’abord aux jeunes qui relèvent de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu’aux jeunes, dans le cadre de l’éducation nationale, repérés par des dispositifs de type poly-exclus, pluri-exclus ou classes relais afin de réellement pouvoir s’adresser aux plus fragiles.

C’est un retour d’expérience intense. C’est toujours compliqué de dresser une évaluation sur un dispositif tel que Starter, néanmoins il y a plusieurs sources de satisfaction. La première est liée au fait que depuis dix ans, aucun élève n’a quitté le dispositif. Les 15 jeunes au départ sont tous présents à l’arrivée, et ça c’est formidable. Cela signifie que notre travail crée de la reprise de scolarité et réconcilie ces ados avec l’institution scolaire. La seconde satisfaction est liée à nos résultats aux examens, enfin pas les miens, les leurs (rires). L’année dernière par exemple, neuf jeunes ont réussi le brevet des collèges série professionnelle (on attend les résultats du dixième) et quatorze ont réussi le certificat de formation générale. Cette réussite d’examen, dernier grand rituel qui fait grandir, est très importante. Le film montre bien ce que cela représente pour un jeune d’être le premier de sa famille parfois à réussir un examen.

Enfin pour terminer sur l’évaluation du dispositif, on peut remarquer que trois/quatre ans après la sortie de Starter, une grosse majorité des élèves s’insère dans la vie professionnelle, même si pour certains, leur situation à la fin du dispositif reste encore très fragile et très précaire.

Forcément. On aurait aimé qu’ils aillent plus loin. Malgré tout, le fait d’avoir un lieu de référence et une personne référente, c’est une aide dans leur vie. Mon expérience d’enseignant pendant trois ans en centre pénitentiaire m’a montré à quel point certaines personnes en situation sociale dramatique auront une capacité de rebond différente suivant qu’elles aient rencontrées de l’aide de la part des institutions, ou non. Cela ne donne pas les mêmes individus et les mêmes capacités à s’en sortir. 

Il y a mille moments… Ce qui est beau dans mon métier c’est que chaque journée est faite de moments intenses, forts et imprévus. Les jeunes me renvoient des moments exceptionnels tous les ans, tout le temps et sincèrement j’aurais du mal à en choisir un.

En cherchant bien ?

(Rires) C’était l’an dernier, à l’occasion d’un projet avec la belle électrique (salle de concert grenobloise partenaire du dispositif starter depuis leur début) et Radio Campus. Les élèves interviewaient tout le personnel de La belle électrique ainsi que des artistes. Nous avions pu poser des questions à Sopico, un rappeur guitariste qui plait beaucoup à nos élèves, et sa bassiste. Elle aussi avait connu un itinéraire social compliqué et avait pris le temps d’expliquer tout son parcours personnel. Ce type d’échange crée des moments hors du commun. Et en bonus nous avions pu assister au concert, c’était très intense avec une vraie construction culturelle.

Je pourrais dire la même chose de la rencontre avec les agents de sécurité de la belle électrique, ils échangent avec les jeunes, expliquent leur métier. Ce travail-là est hyper exaltant et propose des moments toujours uniques.

Des rencontres, on en fait quasiment toutes les semaines à Starter, cela fait partie du projet. Ils adorent ça et des moments comme ça, on en vit tout le temps.

J’aimerais poursuivre et développer le travail engagé. Pour le moment, on accueille chaque année 15 élèves pour 50 candidatures. Je pense que l’on pourrait réfléchir, même si je sais que l’idée est déjà dans l’air, à augmenter cette capacité d’accueil via l’installation d’un pôle de prise en charge de la rupture scolaire autour du projet Starter.

La formation me passionne également. On me dit par exemple que Starter n’est pas duplicable en l’état car c’est lié aux personnes qui s’en occupent. Je ne suis pas du tout d’accord avec cela. Au contraire, on peut tout à fait former des gens. Depuis sept ans j’ai accueilli une dizaine d’éducateurs spécialisés pour des stages longs. A l’issue de leur formation, cela donne des professionnels exemplaires hyper investis mais comme tout métier on ne devient pas chirurgien du jour au lendemain, c’est pareil pour un poste d’enseignant spécialisé, il faut apprendre, pratiquer et prendre le temps.

Matthieu est présent tout le temps, évidemment. Matthieu c’est un ami d’adolescence, de lycée et j’ai construit mes valeurs, mon engagement avec lui. C’est ce que nous nous sommes dit avec Xabi Molia, on ne sait pas trop si c’est grâce ou pour lui que ce film a été tourné. En tout cas, c’est avec lui, c’est certain.

Mise à jour : octobre 2022