Énigmatique, sensuelle, inspirante, libre, une sensibilité à fleur de peau, une voix, sa façon bien à elle de s’exprimer, actrice intemporelle aux multiples facettes, musicienne des mots, réalisatrice, metteur en scène … On ne présente plus Fanny Ardant. L’icône aux plus de 80 films, César de la meilleure actrice en 1997 pour Pédale Douce, était de passage dans l’Isère pour inaugurer le cinéma Le Grand Rex à Péage de Roussillon.
Accessible et modeste - la qualité qui sied aux plus grands -, Fanny Ardant a accepté, en amont de sa venue, de répondre aux questions de la déléguée aux arts et à la culture au sein de l’académie de Grenoble, Ingrid Auzies. L’égérie de Mika dans « Elle me dit » et de Monsieur Alain Bashung dans « Madame Rêve » se confie dans un entretien à la fois fort et rafraichissant, à déguster sans modération.
Littérature, cinéma, théâtre, opéra. Oui, Madame Rêve et elle nous dit ses coups de cœur culturels…
Bonjour Fanny Ardant, commençons par la littérature si vous le voulez bien. Quel est votre livre de chevet actuel ?
Je n’en ai pas. Mais si vous parlez d’un livre que j’offre sans arrêt, que j’attends toujours qu’on le lise et qu’on me dise s’il a provoqué un bouleversement… alors je vous dirais « Eugène Onéguine ».
Et le dernier livre que vous avez aimé ?
Un livre de Brett Easton Ellis : Les Eclats
Le Pass culture s’adresse à des adolescents, plongeons un peu dans cette période. Quel est le livre fétiche de vos 15 ans ?
« L ‘Idiot » de Dostoïevski.
Que dire à un adolescent pour le convaincre de lire ?
Lui dire que lire c’est plus fort que la drogue, lire lui permet de fuir, de se construire une autre réalité que celle que la société lui propose, lire ce n’est pas chercher à se cultiver ou pour avoir de bonnes notes à l’école mais c’est rencontrer le monde et l’aventure de la vie sans censeur, sans mode de conduite. Lire c’est entrer dans un monde qui a de l’avance sur celui qu’on est en train de vivre, en lisant on choisit son camp, on se forge une morale qui n’est peut-être pas celle des institutions mais celle d’un être libre. Lire c’est ne pas craindre la solitude.
Quelle est l’œuvre idéale pour "indiscipliner" les esprits adolescents ?
Rimbaud.
Christine Angot, dans une courte nouvelle, écrit à propos des enfants, des adolescents vis à vis des adultes : "notre imaginaire embête votre réel", pensez-vous la même chose des artistes, que leur imaginaire embête notre réel ?
Non. L’imaginaire des artistes est une lumière dans l’obscurité, un son de la gamme qu’on n’a jamais entendu. C’est faire danser là où on se traînait.
Quel est le plus beau livre d'amour pour vous ?
Je n’ai jamais aimé les premiers prix, il y a trop de grands livres sur l’amour pour n’en garder qu’un. En décernant le premier prix je verrais trop tout ce que j’ai abandonné. Mais je me souviens comme ça de tout ce qui m’a fulgurée quand j’étais malheureuse :
- La duchesse de Langeais de Balzac
- Eugène Onéguine de Pouchkine
- Ethan Frome d’Edith Wharton
- La princesse de Clèves de Madame de La Fayette
- Gatsby le Magnifique de Fitzgerald
- Les lettres de la religieuse portugaise
- Anna Karénine de Tolstoï
- L’Idiot de Dostoïevski
- Noces au Paradis de Mircea Eliade
- Lettre d’une inconnue de Zweig
- Le ravissement de Lov V. Stein de Duras
Et tant d’autres…
Place au cinéma, quel est le film (ou les films) à voir lors de son adolescence ?
Je n’ai jamais aimé les films pour enfants ou adolescents. Cela peut le dégoûter à tout jamais du cinéma. Un adolescent peut tout voir, à ses risques et périls. Il y a eu des films censurés pour les moins de 18 ans qui aujourd’hui sont inoffensifs. Le cinéma, comme la littérature, n’est pas une succursale de l’éducation d’un bon citoyen.
Lors de vos tournages - en tant que réalisatrice ou actrice - pouvez-vous partager avec nous un ou plusieurs moments qui vous ont marquée ?
Non c’est trop compliqué à raconter, et ce n’est magique que pour moi. Il y a une alchimie de ce qui est vécu et de ce qui existe vraiment qui ne peut s’exprimer.
Un film que vous conseilleriez à des ados pour leur faire découvrir le cinéma ?
Des jeunes de 15 ans, je leur ferai découvrir Martin Scorsese. Il y a tout ce qui fascine la jeunesse : l’amour, le sexe, la violence, le code de conduite, le bien et le mal, l’honneur ou la traitrise, les risques à courir pour vivre vraiment sa vie.
Un saut sur les planches, quelle est la pièce de théâtre qui vous a marquée en tant que spectatrice ? En tant que comédienne ?
Il y en a eu beaucoup qui m’ont passionnée durant toute ma vie, mais aussi beaucoup qui m’ont ennuyée. Je n’ai cessé d’y retourner en prenant le risque de m’ennuyer et chaque fois que j’étais fulgurée par la pièce, cela fut inoubliable. Surtout des pièces de Tchekhov, un opéra de Mozart « Don Giovanni », mais je suis de nature obsessionnelle et ce qui me bouleverse n’est pas transmissible, trop encombré de joie et de douleur, d’erreurs, de pardon et de non pardon.
En tant que comédienne, j’ai joué il n’y a pas si longtemps le rôle de Cassandre dans un Opéra contemporain de Michael Jarrell « Cassandre » écrit par l’écrivain allemande Christa Wolf. J’aimais tout, j’avais le vertige, j’avais la joie sombre et illuminée de ce que l ‘on va dire avant de mourir.
Selon vous, pourquoi le théâtre antique est-il si contemporain ?
Le théâtre antique a raconté qui est l’être humain avec ses bassesses et ses grandeurs, avec ses erreurs et ses fulgurances, il a toujours mis tous les types d’êtres humains aux prises au bien et au mal, à la justice ou la vengeance, la force et la faiblesse, comment on peut se tromper de vie, de rêve, d’ambition, et Simone Weil disait toutes les leçons qu’on devait tirer de « l’Iliade » d’Homère, la veille de la deuxième guerre mondiale.
Le théâtre grec est humaniste, il n’y a pas de super héros à l’Américaine, invincible. Les personnages perdent ou gagnent, pleurent ou se réjouissent, ils ont peur, ils sont malins, ils nomment leurs ennemis, ils savent qu’ils paieront le prix de leur passion, de leurs actes impurs, de leur gout du sang.
Le théâtre antique est si fort que souvent les grands auteurs ou peintres ont mis leur chevalet face à tout ce qui avait été écrit par les tragiques grecs.
Un mot sur l’opéra. Que pourrait-on dire à un adolescent pour qu'il sache que l'opéra est fait pour lui ?
Rien. Il faut entrer dans l’opéra comme un intrus et non comme si on devait se « cultiver » à tout prix. Vous savez bien que même la culture est à vendre ! L’Opéra est comme le football, il a ses aficionados et il a ceux qui le rejettent et c’est bien comme ça. La richesse d’un adolescent c’est sa curiosité sauvage, c’est lui seul qui se limite par peur ou par préjugé. La vraie limite de l’Opéra est que c’est cher donc difficile pour le jeune homme ou la jeune fille qui veut expérimenter. Ce qui pourrait exister, peut être un professeur qui au lieu de faire son cours leur raconte l’émotion phénoménale qu’il a vécu dans un opéra qu’il est allé voir et écouter. Je crois que la meilleure transmission pour faire partager le gout du cinéma, du théâtre ou de l’opéra c’est l’enthousiasme passionné de celui qui a vu, écouté, pleuré et ri et qui veut absolument partager ce moment-là. Il y aura toujours un élève qui se dira : il faut que j’aille voir de quoi il parle !
L’entretien touche à sa fin Fanny Ardant. Quel est l’artiste que vous aimez parce qu'il vous a changée ou fait rêver ?
Vladimir MACHKOV
J'ai 15 ans, quel livre je pourrais offrir à mon crush pour lui faire une déclaration ? Quelle musique je pourrais lui faire écouter ? Quel film je pourrais lui conseiller ? Quel tableau ?
1° Je lui offrirai « La duchesse de Langeais » de Balzac puisque c’est l’histoire d’une femme qui s’aperçoit trop tard de l’amour d’un homme qu’elle a mal traité.
2° Un chant tzigane russe qui s’appelle : « Je vous ai rencontré »
3° « Tess»" de Roman Polanski
4° « Le retour de l’enfant prodigue» de Rembrandt
Dernière question, accepteriez-vous d'être notre marraine Pass Culture dans l'académie de Grenoble ?
Je vous remercie pour cet honneur mais je n’en suis pas digne. Je suis consciente de ne pas savoir suivre les règles ; j’aurais une mauvaise influence sur les élèves. J’aime la résistance, l’insubordination, les esprits libres, les opinions les plus opposées. Je me mets en colère facilement. Je veux toujours convaincre. Je n’ai pas le don des professeurs qui ont étudié et qui savent transmettre. Je ne veux pas ajouter de difficultés à votre générosité envers les élèves. Mais je suis touchée de votre proposition même si je vous dis non.
On aura quand même essayé. Merci pour vos réponses et votre franchise.
Mise à jour : avril 2024