Non, il ne s'agit pas de la rubrique faits divers… simplement le point final d’un projet mené par des élèves du collège Les Frontailles, qui les a vu investir le tribunal savoyard pour jouer leur procès fictif, écrit en amont.
" Quels usages du numérique au service d'un travail d'écriture longue à visée judiciaire ?"
Tel est l’intitulé officiel du projet mené en partenariat avec deux juges pour enfants du palais de justice de Chambéry et développé par Stéphanie Lokoli, professeure de Lettres Modernes en charge de l'enseignement éloquence du collège. Inscrit dans le cadre du parcours avenir et du questionnement du programme de 4e "La fiction pour interroger le réel", ce projet interroge et utilise les apports du numérique au service d'une écriture longue. Les outils numériques sont utilisés pour développer les compétences rédactionnelles des élèves et leur permettre d'adopter une posture réflexive. Le travail de l'écriture, dans le cadre d'une réflexion plus large sur la justice, vise également à développer la conscience citoyenne et sociale des élèves.
Ouvrir la possibilité d'une attitude réflexive sur l'acte d'écrire, rédiger un texte argumenté de 2000 à 3000 signes en exprimant sa pensée de manière argumentée et nuancée, s’exprimer de façon maîtrisée en s’adressant à un auditoire, développer des compétences numériques, éveiller la conscience sociale et citoyenne des élèves sont autant d’objectifs visés et compétences sollicitées dans le cadre de ce projet.
Deux classes de 4ième du collège les Frontailles (comprenant des élèves relevant du dispositif ULIS) ont ainsi travaillé, six mois durant, à la rédaction d’un procès fictif.
Petit à petit, le procès s’écrit…
L’occasion de découvrir, au préalable, le fonctionnement de la justice des mineurs, via des échanges autour des métiers du droit, avant d’étudier sous toutes les coutures une courte nouvelle de Maupassant intitulée : « Le papa de Simon ». La suite, c’est Stéphanie Lokoli qui la raconte : « Les élèves ont utilisé l’outil informatique DIGIDOC pour imaginer des questionnaires relatifs au harcèlement scolaire et mettre en œuvre plus facilement un travail collaboratif, au service des compétences rédactionnelles des élèves. Ensuite, un travail individuel d’écriture longue a vu le jour avec la volonté de conforter la lecture du « papa de Simon » par l’écriture. Les élèves ont ensuite été amenés à utiliser l’outil numérique de façon régulière, dans le cadre d’un parcours d’écriture judiciaire différencié. »
Celui-ci était composé de dix temps d’écriture différents, créés par l’enseignante, qui reprenaient l’ordre de parole dans le cadre d’un procès : à savoir le Juge pour enfants qui élabore une synthèse des faits et qui pose des questions au prévenu, le juge qui aborde la personnalité du prévenu (son histoire familiale/ sa situation personnelle/son casier judiciaire), la plaidoirie de la partie civile, les réquisitoires du parquet, la plaidoirie de la défense, et pour finir, le délibéré.
Faites entrer l’accusé !
Tous les textes issus de l’imaginaire des enfants sont centralisés par Madame Lokoli en un seul document intitulé « Le procès du harceleur de Simon ». Ce dernier est ensuite envoyé à la juge pour enfants pour relecture finale.
Un projet qui s’est donc conclu en apothéose avec ce procès tenu dans l'enceinte même du Tribunal Judiciaire de Chambéry, mardi 11 juin. Les élèves ont été accueillis par une des responsables du conseil départemental de l’accès au droit de la Savoie, Mme GIRARD-PICHOUD. Puis, certains collégiens ont été pris en charge par un surveillant pénitentiaire de la brigade ELSP du centre pénitentiaire d’Aiton pour une explicitation sur son métier et son rôle dans le cadre sécuritaire du Tribunal Judiciaire.
La classe de 4ème B a ensuite interprété le procès, tandis que les élèves de 4ème A, public avisé, évaluait la prestation orale d'un des camarades (une mission pour laquelle ils se sont entraînés pendant un mois après un gros travail sur les cinq fondamentaux de la parole). À souligner également la présence d’un spectateur attentif et assidu, Monsieur Briswalter, IA-IPR de Lettres et référent Éloquence dans l’académie.
La parole et (à) l’éloquence !
Le délibéré final fut précédé d’une lecture à plusieurs voix d'un des extraits du texte « Le Papa de Simon » reprenant les mécanismes de l'exclusion à l'œuvre dans les situations de harcèlement. Cette séance au sein du tribunal s’est conclue par un vote du public pour l'orateur le plus convaincant, d’où ce clin d’œil de Stéphanie Lokoli : « C'est en fait un concours d'éloquence détourné :-) ça change un peu d’approche ».
Les élèves, enthousiastes à souhait, ont tenu à témoigner à l’issue du procès. À l‘image de Clara, avocate de la Défense : « C’était très intéressant à faire, mais c’était très stressant, du bon stress comme dirait la prof ! (Rires). Ça m’a permis de travailler les exercices faits en classe pour gérer mes angoisses. » Ou encore ce témoignage de Léna, juge émérite : « J’ai bien aimé parce que ça m’a appris à parler en public. C’était plutôt bien, toute la classe s’y est mis, on était bien tous ensemble. »
Effectivement une approche différente, un travail collaboratif et transversal combinant les supports numériques, sources de motivation inépuisable.
Les élèves savoyards auront bien mérité, pour l’ampleur et la qualité du travail réalisé, un titre de membre honoraire du barreau de Frontailles. Où Madame Lokoli en serait le bâtonnier…
Et comme une réflexion numérique peut en cacher une autre, nous vous laissons découvrir cet autre projet des élèves, toujours mené par Stéphanie Lokioli et primé au forum des enseignants innovants de France, à Poitiers en décembre 2023 : " Dans quelle mesure le numérique participe-t-il à un cheminement réflexif dans le cadre de la pratique de l'oral et notamment du DNB ?
Mise à jour : juin 2024