Questions - Réponses ! Karine Laborie, professeure de philosophie

Le baccalauréat ne serait pas le baccalauréat si l’épreuve de philosophie n’existait pas. Un avis évidemment partagé par Karine Laborie, enseignante au lycée Pierre du Terrail à Pontcharra.

Le baccalauréat ne serait pas le baccalauréat si l’épreuve de philosophie n’existait pas. Un avis évidemment partagé par Karine Laborie, enseignante au lycée Pierre du Terrail à Pontcharra. Cette dernière nous conte sa discipline avec un brin de … philosophie.

Bonjour, alors effectivement c'est une phrase très connue de Descartes extraite de la 4e partie du discours de la méthode. C'est la première certitude que trouve Descartes à l'issue d'un geste qui est quand même particulièrement impressionnant, une expérience assez vertigineuse puisqu'il nous propose de faire une fois dans notre vie, et ceci pour toute notre vie, comme si tout ce qui était douteux était faux, et à l'issue d'une mise en scène assez vertigineuse il suspend, si vous voulez, toutes les assurances et les certitudes que nous avons acquises minutieusement et découvre que la seule certitude qui s'impose, c'est précisément qu'il doute. En ce sens, cette expérience de pensée est tout à fait remarquable parce qu'elle témoigne du génie de Descartes d'avoir cherché à maximaliser les raisons de douter, mais pour se délivrer définitivement du doute, et il espère ainsi avoir triomphé du scepticisme.  

Alors une citation en philosophie n'est pas à vertu illustrative ou décorative. Elle témoigne vraiment qu'un jeune esprit travaille, pense avec d'autres auteurs, donc effectivement c'est un témoignage fort parce qu'elle indique que ce jeune esprit cherche à étayer sa position, en compagnie de penseurs qui l'ont précédé et auprès desquels il trouve finalement du renfort en quelque sorte. Donc pour consolider une réflexion argumentée, je conseille effectivement de mobiliser des références, mais la référence ne doit pas être recherchée pour elle-même, c'est ça la règle, c'est-à-dire qu'il faut qu'elle soit toujours appropriée au sujet et qu'elle s'inscrive vraiment de bonne manière dans le déploiement de la réflexion de l'élève. Multiples sont les citations que nous pourrions mobiliser, je viens à l'instant de penser à la devise de Montaigne qui pour moi est importante, le fameux « que sais-je » qu'il fait graver sur sa médaille et qui l’a accompagné toute sa vie. En résumé trop de citation tue la citation, il faut la choisir avec discernement.

Si la philosophie sert à quelque chose, si je prends vraiment votre question au mot, je dirais qu'elle sert à décaper la réalité, c'est-à-dire qu'elle permet de revisiter toutes les positions que l'on a préalablement adoptées et qui peut-être ne résistent pas tellement à l'examen. Elle permet de se réinstaller dans sa langue et de comprendre l'usage de mots que l'on ne saisit pas toujours. En somme, elle permet de mettre à nu les véritables aspérités de la réalité et de se confronter à des questions de premier plan.

Et bien ça veut dire à chaque rentrée, aller à la rencontre de jeunes gens. À chaque rentrée, embarquer en quelque sorte sur un grand bateau avec eux, et faire en sorte qu'ils se trouvent auprès d'eux- même dans l'élément de la pensée. Alors c'est un réel défi parce que ce n'est jamais gagné d'avance, ça demande du temps, ça demande de la persévérance, ça demande de l'écoute, ça demande de l'ouverture intellectuelle de leur part et de notre part, donc c'est une aventure dont on ne sait pas d'avance comment elle va se déployer et c'est ce qui en fait l'intérêt aussi à chaque rentrée, et son charme.

 Je dirais que notre monde croule sous une masse de données, d'informations, de connaissances aussi, de premier plan, puisque nous avons atteint un haut niveau de connaissance jamais égalé. Peut-être, l'apport de la philosophie à ce niveau-là, ce serait de réactiver en permanence la culture du jugement. Il ne suffit pas d'avoir des informations, d'avoir des données à sa disposition, mais il s'agit véritablement de se les approprier pour les tester, pour les peser, pour les mettre finalement sur la sellette et pour établir, s'il y a lieu, une position. Et s'il n'y a pas à établir de position, parce que ce n'est pas non plus une exigence nécessaire, tout au moins avoir fait ce travail d'examen, pour ne pas se laisser en quelque sorte engluer sous une masse de données finalement qui nous écrase.

C’est une question difficile parce que ça suppose que l'on estime que l’on a une tâche à accomplir. Moi je dirais que cet apport serait d'assurer la continuité du monde commun. Je pense à Hannah Arendt dans la crise de l'éducation qui souligne combien il est important de permettre à des jeunes gens d'affirmer leur singularité, mais cette singularité ne peut advenir que parce qu'ils se réapproprient un héritage qu'ils vont à leur tour reconfigurer et éventuellement transmettre, donc peut-être est là notre apport.

Tardive ça c'est certain parce que, sauf s'ils ont eu déjà une expérience dans le cadre de l'enseignement de spécialité humanité, littérature et philosophie, il ne la découvre officiellement qu'en Terminale. Mais c'est aussi parce que c'est une matière qui est à la fois exigeante et impressionnante je pense, en première approche, qu'elle peut dérouter mais je crois qu'elle a aussi un volet attractif et les jeunes gens, en début d'année, sont quand même assez désireux de savoir ce qu’il va se passer dans un cours de philosophie, donc elle a aussi une dimension revigorante cette matière, une dimension stimulante.

Rêve philosophique c'est une expression qui est très enthousiasmante. Alors si vraiment je ne me censure pas à rencontrer des grandes figures qui m'ont marqué dans ma formation propre, rencontrer un Montaigne, un Pascal, un Nietzsche, ça ce serait un vrai rêve philosophique. De manière plus modeste, pouvoir installer dans ma salle de classe une boîte à livres dans laquelle chacun pourrait déposer et puiser au gré finalement de ses désirs, ça ce serait un rêve peut être réalisable dans les prochaines années.

Savoir écouter. C'est à la fois de la disponibilité, de la patience, de la réceptivité, et savoir écouter cela veut dire aussi savoir écouter les silences de certains élèves, savoir écouter la posture, la gestuelle, la prise de parole. Savoir écouter, pour moi.

Peut-être. En tous les cas pour moi, des élèves qui continue à discuter lorsque la sonnerie retentit et qui continue à discuter dans le couloir lorsqu’il quitte la salle de classe. Ça veut dire que cela fait son chemin et que ça va les accompagner en dehors de la salle de classe, et ça c'est quand même le pari. Que cette expérience qu'ils ont collectivement dans la salle de classe leur permette finalement de poursuivre la réflexion, le questionnement, les preuves du doute en dehors de la salle de classe.  

Alors c’est difficile parce que vous savez, les sujets sont nationaux, Nous avons 17 notions au programme, il n’y a pas de rotation entre les notions, donc je ne m'aventurerai pas sur ce terrain.

C’est une matière qui effectivement compte, un coefficient qui est important en série générale coefficient 8, en série technologique coefficient 4, un peu moins important, mais c'est surtout une matière qui compte pour sa formation et pour sa préparation des études supérieures.

Oui parce que ça permet, quelques soient les formations qui vont être ensuite poursuivies, d'avoir étoffé sa culture personnelle, d'avoir aiguisé son jugement, de s'être confronté à toute une tradition à partir de laquelle les élèves peuvent effectivement se construire eux-mêmes, donc je pense que c'est une expérience, qui normalement, est censée les porter et les accompagner.

S’il fallait résumer mes missions en un seul mot, ce serait sécuriser la prise de parole et la culture du jugement des élèves, qu'ils se sentent en sécurité en philosophie.

C’est une belle aventure.

À l'école ou plus amplement souvenir d'enfance. Lorsque j'étais enfant, je recevais régulièrement des paniers de livres de deux institutrices célibataires qui s'appelaient les demoiselles Bratieres et elles repartaient avec des paniers pleins de fruits et de légumes parce que ma mère était agricultrice, et cet échange de culture est pour moi un événement fondateur.

Merci Karine Laborie d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

 

Mise à jour : juin 2024