Si 2024 fut une année sportive, 2025 s’annonce artistique et culturelle, un tourbillon culturel même. Les jeux olympiques et paralympiques de Paris ont ainsi laissé place à la réouverture de Notre dame de Paris ou à l’inauguration prochaine, entre autres, du palais de la découverte.
Plus proche de nous, le festival Corps&Graphie succède à Sport’N’Doc. Souvenez-vous lorsque quatre lycées de l’agglomération grenobloise filmaient et diffusaient la vie des sportifs de haut niveau de leur établissement.
Exit les pelouses, parquets, tatamis ou bassins, place désormais aux planches où la combinaison harmonieuse du corps, du temps, de l’espace, de l’énergie et la relation entre danseurs remplaceront ballons, plongeons et autres ippons !
Sur un modèle similaire à Sport’N’Doc, dans une volonté de pérennité, le festival du film documentaire entamera sa deuxième édition avec les établissements de l’agglomération grenobloise autour du thème intitulé : le corps en mouvement, une chorégraphie !
C’est dans cette optique que les élèves et enseignants des lycées Marie Curie (Echirolles), Stendhal (Grenoble) et du collège Gérard Philipe (Fontaine) étaient réunis en atelier danse le jeudi 13 février à 10h30 au gymnase Lionel Terray à Echirolles, dans le cadre de la Méthode de Medhi Kerkouche.
Pour rappel, cette session pratique fait suite à un premier temps de formation collaboratif plus théorique tenu mi-janvier dans les locaux de Cinex, au cours duquel les enseignants impliqués dans ce projet ont pu échanger autour de l’approche du corps d’un point de vue philosophique avec Julie Evrard, enseignante au lycée du Parc à Lyon et Doriane Rey, Attachée aux relations à la MC2, tandis que Fabien Fischer, Djamila Daddi Addoun et Yoann Demoz, réalisateurs, détaillaient les attendus du festival.
Méthode Kerkouche, c’est ouf !
C’est pendant le confinement que le jeune prodige de la danse française se fait connaître du grand public. Danseur depuis l’âge de six ans, metteur en scène, chorégraphe, directeur du centre chorégraphique national de Créteil depuis janvier 2023, Mehdi Kerkouche profondément attaché à la transmission, souhaite permettre aux amateurs de s'initier et de pratiquer la danse. Il crée alors La Méthode : un cours de danse vitaminé guidé par un DJ et animé par des danseuses et danseurs de la compagnie EMKA. Qu’ils soient contemporain, électro, Hip-hop ou encore house dance, les styles sont variés mais avec une ambition commune, celle d’offrir une vision du spectacle puissante, vivante et sensible.
Et du dynamisme, il en fallait pour suivre le rythme endiablé, impulsé par une équipe électrique. Finalement, on n’était pas si loin du sport que ça…
Ils sont huit danseurs (Nina, Mich-Mich, Titouan, Mattéo, Jawer, Paul, Sacha et Carla) à occuper le centre du gymnase, s’échauffant et s’étirant, le sourire aux lèvres, en attendant l’arrivée de leur mentor. Les basses resonnent, le rythme s’affole et la pression monte. Arnaud Meunier, directeur de la MC2, a même fait le court déplacement depuis son bastion culturel pour soutenir l’initiative (il faut dire que la compagnie de l’artiste se produira deux soirs de suite au sein de la MC2).
Mehdi Kerkouche, en provenance directe de Paris, arrive au pas de course, « hugs » ses danseurs, se saisit du micro et invite les 120 élèves répartis dans les gradins à vite venir le rejoindre. L’énergie est déjà débordante : « Bonjour à tous, ça va ? Chut, on se calme. C’est la faute du DJ, il a tout de suite fait monter l'ambiance. Nous sommes présents deux jours à Grenoble et notre objectif aujourd'hui, c’est de vous faire découvrir ce que nous faisons avec nos danseurs qui viennent de plein d’univers différents, on voyage ensemble et on mélange tous les styles. Flo le DJ n’est pas n’importe qui, Beyoncé reprend ses remix pour ses concerts, c’est vrai en plus. On est ici à Grenoble pour vous transmettre notre vibe. C’est parti, on vient se mettre tout partout dans la salle, tout autour de moi ».
Découverte
Ce serait mentir de vous dire que tout le monde se jette à corps perdu dans l’activité. Il y a toujours quelques récalcitrants, sceptiques, les bavards ou alors, les tourments d’adolescents, le rapport au corps et la peur de faire « flop ». Le chorégraphe recadre tout de suite : « Vous êtes les relous de ma vie cette semaine. Je ne me suis pas levé à 5h du matin pour vous entendre discuter. Est-ce-que vous pensez que vous pouvez me donner 45 min de votre énergie aujourd'hui ? Alors, comme en classe, on ne parle pas, c'est notre pacte de respect entre nous. On me regarde et on fait comme moi. Tu marches, tu me regardes et tu m’écoutes. Tu marches, tu me regardes et tu m’écoutes… »
Les exercices d’échauffement se succèdent, la glace commence à se briser. Puisque l’on évoque la glace, on remarque quelques élèves hockeyeurs avec leurs tenues des Brûleurs de loup, aussi grâcieux sur les planches que sur les patins, ou presque…
Mehdi Kerkouche ne ménage pas ses efforts, et la mayonnaise prend. Les vestes tombent, au sens propre comme au figuré. Certains talents vont éclore…
Battle
Petite pause, c’est le temps des étirements. Le titi parisien taquine les élèves :
« Toi je t’ai repéré, tu t’es baissé de cette façon et puis toi tu as glissé comme ça. Vous êtes chauds, on va maintenant pouvoir danser, même si avec vous je sens que je vais devoir y aller par étape. On s’approche, promis je n’ai jamais tué personne. Flo, c’est parti ». Florent, alias DJ Lazy flow est au diapason. La chorégraphie est bien huilée, « I got the power » fait vibrer les enceintes. « On improvise tous les deux avec Mehdi, il me parle au micro, je lui réponds avec du son », nous confie entre deux enchaînements le Ronaldo des platines.
Le son diminue… « Et si nous organisions un battle » ?
Mehdi Kerkouche est également fin pédagogue : « Il y a cinquante ans, dans les quartiers américains, à la place des armes, on s’affrontait dans des battles. Aucun contact n’était autorisé, il s’agissait de s’affronter dans un cercle, à l’amiable, en dansant. Le meilleur des deux sauvait alors son honneur. Faites du bruit pour la jeune Solveig qui représente Grenoble et faites aussi du bruit pour notre danseur Mattéo qui nous vient tout droit de Belgique ».
La magie opère. La lycéenne privilégie des "figs" de gym artistique tandis que le danseur professionnel lui répond avec un magnifique popping (contraction et décontraction des muscles en rythme) pour un rendu époustouflant. La musique s’arrête, remplacée par les encouragements et un clapping de la foule, en guise de rythme. Solveig entame son second passage, le niveau monte, l’ambiance aussi et le duel se termine dans une étreinte amicale. L’applaudimètre et Mattéo, fair-play, désignent Solveig gagnante de cette battle.
« C’est ça Grenoble, je veux voir du flow, je veux voir le flow de Grenoble » enchaîne Mehdi Kerkouche, toujours autant investi : « On occupe tout l'espace vous faites ce que vous voulez, laisser vous guider par votre humeur et votre énergie, kiffer ce moment, on est venu pour faire la fête, pour s’amuser. » Dans cette évolution plus ou moins pleine de grâce, se distingue Zaid, totalement décomplexé, qui s’invite au centre de la piste pour un freestyle improvisé, accompagné par des danseurs au diapason. Ahmed puis Manon s’essaient également avec succès à l’exercice, avant que Layan ne mette tout le monde d’accord dans un solo prometteur, de quoi laisser admiratif Mehdi Kerkouche lui-même.
Conseils
L’ambiance est renversante. Une démonstration individuelle et remarquée de chaque danseur, dans un mélange de styles inspirants, vient ramener le calme avant que la troupe de Mehdi Kerkouche ne propose un extrait du spectacle programmé le soir même à la MC2.
Un dernier selfie pour alimenter les réseaux sociaux et le dernier temps de la matinée est consacrée à un jeu de questions-réponses avec le public. Où l’on évoque pêle-mêle les parcours des danseurs, les choix de carrière ou encore les rencontres avec les artistes connus. Lou-Anne, Angèle, Aya Nakamura, Christine and the Queens, Pierre Garnier… Au tour de Mehdi Kerkouche de poser les questions : « Vous vous attendiez à quoi en venant ici ? » La réponse est tranchante : « À pas grand-chose, je n’avais pas envie de venir, je pensais perdre mon temps mais en fait on a passé un super moment, c’était cool !» Le chorégraphe apprécie et distille les bons conseils : « Dans l'art, il existe beaucoup de styles et parcours différents avec une dose d'imprévu. Danser c’est faire un métier de passion et pour réaliser ses rêves, c’est comme de partout, il faut t'en donner les moyens et travailler fort. Si c’est compliqué et que tu lâches l'affaire, alors ce n’est pas pour toi, mais si tu t’accroches, alors tout devient possible… »
Les jeunes apprentis danseurs repoussent l’heure de la séparation, ils demandent leurs « instas » aux danseurs tandis que d’autres prennent conseil auprès de Mehdi Kerkouche pour dénicher les bonnes écoles de danse. Ce à quoi se prête volontiers au jeu le chorégraphe qui donne rendez-vous à tous à la MC2 ce soir.
Et confidences
Avant de retrouver le cours de la vie normale, nous avons interrogé quelques acteurs de cette journée. Et pour certains, elle sera inoubliable. À l’image de Layan, auteur d’un solo remarquable, qui a encore les yeux qui brillent à l’heure de témoigner : « J’ai vraiment trouvé ça super bien, on a pu découvrir énormément de styles avec plein de danseurs géniaux. Merci pour ce super moment. Il y aura sans aucun doute un avant et un après cette rencontre, je me sens free, porté, conforté dans ma volonté de vouloir continuer dans cette voie et y aller à fond. » Ambre et Roshiane enchaînent : « C’était incroyable cette matinée, hors du commun. On a vu plein de styles de danse différents, c’était hyper intéressant. On est sorties de nos habitudes, on s’est libérées. On pensait que cette journée serait beaucoup plus scolaire mais on a beaucoup aimé, c’était très dynamique et ça bougeait beaucoup. »
Le mot de la fin reviendra naturellement à Anne Deparis qui porte ce projet à bout de bras depuis deux ans désormais, et aujourd’hui son sourire inaltérable n’était pas près de la quitter : « Ce fut une belle première rencontre entre l’ensemble des élèves avec beaucoup de dynamisme et une belle énergie autour de ce festival. Cette matinée était vraiment incroyable, pleine d’enthousiasme et d’énergie, je crois qu’on a donné le sourire à tout le monde aujourd’hui. »
Oh que oui il y avait du sourire sur tous les visages en cette matinée endiablée ! La faute à Mehdi Kerkouche, faiseur de talents et créateur de bonheur !
L’interview en plus :
Sur scène comme devant un micro, Mehdi Kerkouche ne perd pas son dynamisme et sa joie de vivre contagieuse.
Ce temps de rencontre avec des ados était important pour vous ?
Cette rencontre était hyper importante pour moi car je ne sais pas si tous, de leur plein gré, auraient souhaité venir à notre contact et découvrir tous ces styles de danse, je trouve donc ça hyper sympa d’avoir cette démarche. Au début, beaucoup étaient assez réservés avec pas mal d’à priori, et au final, même les plus réticents étaient plutôt heureux de cet échange et avaient très très envie de sauter le pas. Ça, c’est le pari qui est gagné, je suis très heureux d’avoir pu le faire.
Le message à faire passer à ces jeunes ? Qu’ils ne se refusent rien ?
Oui, il faut ne se fermer aucune porte. Si on ne prend en compte que le monde extérieur pour avancer et si on inflige des barrières alors qu’on n’a pas commencé quoi que ce soit, cela risque d’être compliqué. C’est à leur âge normalement qu’on a faim et soif, et envie de déplacer les choses, donc il ne faut surtout pas qu’ils hésitent. Si moi avec mon petit corps et mes petites capacités je suis capable de le faire, alors eux aussi ils le peuvent.
Vous avez un spectacle ce soir, mais malgré tout, aucune économie d’énergie ?
La danse est un métier très difficile pour lequel on ne peut pas s‘économiser. Il fait rêver beaucoup de gens, mais malheureusement, comme dans beaucoup de métiers, il y a peu d’élus. Ce qui réussissent ne sont pas forcément les plus talentueux au départ, mais ceux qui se donnent les moyens d’aller jusqu’au bout et passer les difficultés.
Mise à jour : mars 2025