Pour la troisième année consécutive, les classes préparatoires du lycée Champollion accueillaient, le temps d’une journée particulière, des élèves issus du collège Gallay de Scionzier (REP-Haute-Savoie). Le but de cette journée est de donner à ces collégiens un aperçu très concret de ces filières et d’ouvrir pour eux le champ des possibles
Cette action « cours type prépa » s’intègre dans un projet plus vaste animé par Frédérique Montmayeur et Emilie Soumare, professeurs de l’établissement Haut-Savoyard, destiné « à lutter contre l’inégalité en matière d’orientation et à pousser des élèves capables mais inhibés par leur origine sociale vers des études longues qui feront office pour eux d’ascenseur social ».
Du côté des « prépas » (CPGE) littéraires et scientifiques du lycée Champollion à Grenoble, il s’agit bien sûr de faire découvrir ces classes à des élèves qui auraient peu de chance d’en entendre parler, et de rompre avec l’image inepte et dommageable d’un enseignement archaïque. L’objectif étant de donner à tous l’envie de bénéficier de cursus littéraires ou scientifiques d’une grande richesse et l’occasion également de clamer haut et fort : « Non, les classes préparatoires ne sont pas élitistes et inégalitaires. » La preuve ? Il y a en moyenne 30% d’étudiants boursiers dans les CPGE publiques.
Taupines / Taupins, hypokhâgneuses / hypokhâgneux, épicières / épiciers …
On n’ose utiliser les surnoms donnés aux élèves de classes préparatoires (scientifiques, littéraires et économiques par ordre d’apparition), ils pourraient vexer. Tristan, Lucile et Fidjy, en prépa littéraire font preuve d’une certaine dose d’auto-dérision : « C’est vrai que c’était péjoratif au début mais maintenant c’est ce qui nous caractérise, c’est désormais une fierté. On dit « taupins » car ils ont le nez sur leurs bouquins de maths et sont donc myopes comme une taupe, » Khâgneux » en référence à ce que doivent être leurs genoux car ils sont supposés être tout sauf des sportifs, ou encore « épiciers » car ils se destinent au commerce ou à la finance ».
Nous voilà un peu plus instruits et curieux d’en apprendre davantage sur ces étudiants, bien dans leurs baskets et prêts à déconstruire les idées reçues...
L'anticonformisme autour des Préraphaélites, et plus si affinités…
Ce jeudi 22 mai, entre 9h00 et 16h30, les jeunes Haut-Savoyards ont donc pu assister à une série de cours dispensés par des étudiants et des professeurs de prépas. Les élèves ont pu se répartir dans des séances se déroulant en parallèle et ont eu l’opportunité d’assister au programme (pointu) de leur choix : "L'anticonformisme autour des Préraphaélites", "À la découverte du titrage" " (TP de physique, dans une salle équipée) , "Le sport dans l’Antiquité ", "Comment une fonction varie-t-elle ?" ou encore "À propos de l’exotisme".
Assis au milieu des collégiennes et collégiens Chonverots nous avons également pu profiter des enseignements, en débutant par un exposé très riche et documenté sur les peintres Préraphaélites présenté par Tristan, Lucile et Fidjy, trois étudiants. Où l’on apprend que cette période correspond à un renouveau esthétique. Les peintres anglais du 19ieme siècle, se lassant des tableaux très chargés avec beaucoup de personnages et de couleurs de Léonard de Vinci, Raphaël et consorts, souhaitent revenir à plus de simplicité. Un renouveau esthétique doublé de celui de la pensée débouchant sur un changement social, avec notamment l’évolution du statut de la Femme. La muse devient également artiste. La nouvelle esthétique des Préraphaëlites sera alors beaucoup reprise au fil du temps, son caractère androgyne réutilisé jusque dans les mangas japonais, tandis que Ophélie a enfin l’opportunité de s'émanciper de son lien avec Hamlet.
Tristan, Lucile et Fidjy joignent les tableaux à la parole sous l’œil attentif et protecteur de leur enseignante, Virginie Thomas. On aurait pu penser que les collégiennes et collégiens allaient se perdre en route, il n’en est rien. En attestent ces témoignages de Ceylin et Kassim qui retiennent de cette intervention « une bonne occasion pour la Femme de revendiquer sa condition et d’être acceptée dans la société ».
Les deux jeunes en profitent pour nous parler de cette journée particulière : « Même s’il a fallu se lever tôt (rires), c’est important de venir ici pour se rendre compte de ce qu’est une classe préparatoire afin de découvrir plusieurs horizons et de se projeter dans l’avenir pour faire le bon choix dans nos études. C’est une bonne occasion de visiter et de découvrir leur fonctionnement. Pourquoi pas en rejoindre une plus tard ? »
Mens sana in corpore sano
La pause de 10 heures terminée, on pousse un peu les murs pour accueillir la cohorte en provenance du TP de physique. À voir les visages enjoués, on comprend que ce fut passionnant. Tout le monde est fin prêt pour accueillir Fabrice Burlon (agrégé de Lettres classiques) et Philippe Tarel (agrégé d’Histoire) qui nous plongent dans un récit passionnant, sur les (lointaines) origines du sport.
Pour débuter, on découvre que le mot sport est issu de l’ancien français « desport » qui veut dire divertissement et jeu. Tout s’explique.
Place à une petite leçon de grec avec l’étymologie des mots. « Agone » signifie assemblée, réunion pour de jeux publics. Agon qui renvoie à agonie, lutte. Gymnasium puis stadium qui signifie se tenir debout, Athlos pour athlète. Et tout naturellement l’on vient à évoquer les ancêtres des jeux olympiques, en 776 avant JC. Les athlètes s’entraînent un mois avant et se retrouvent pour une semaine d’épreuve : courses de 200/400m, combat, lutte, lancer, pentathlon, courses de chevaux et boxe. Déjà, la compétition est accompagnée d’une cérémonie d’ouverture qui rend hommage aux dieux. Les athlètes ont la possibilité de gagner beaucoup, beaucoup d’argent (jusqu’à 10 fois la solde du légionnaire) et la récompense ultime, la couronne de laurier. Le vainqueur est un héros, le protecteur de sa cité. Sauf que la valeur première reste l’humilité avec ce mantra assumé : « Connais-toi toi-même. Même si tu es vainqueur, tu restes en dessous des dieux. Le grand vainqueur, c’est Zeus ».
Les élèves sont captivés.
Fabrice Burlon et Philippe Tarel enchaînent. Pour vous prouver à quel point ces jeux ont de l’importance, ajoutons qu'ils marquent une période de paix entre les cités. Le Sport est moyen d'endurcir les corps pour défendre sa ville, sa liberté. Les héros s’appellent alors Milon de Croton, un lutteur au palmarès exceptionnel qui a gagné 7 olympiades de suite, ou Marcus Aurelius Asclepiades, boxeur et pancratiaste (équivalent du MMA actuel) qui compte au moins une centaine de victoires. Enfin le « GOAT » ultime, comme disent les jeunes, le Léo Messi de la course de char, Diocles, ancien esclave devenu une star exceptionnelle qui compte 1462 victoires sur 4257 participations.
C’est par cette formule universelle « un esprit sain dans un corps sain » que les deux narrateurs ponctuent cette intervention passionnante.
Exposés suite et fin
Yi Wen, étudiant chinois en première année de master Sciences du langage à l’Université de Grenoble prend la suite avec un échange intitulé « Étudier à l’étranger : une expérience décisive ».
Le jeune homme, à la maîtrise du français assez remarquable, présente son parcours et livre au moins cinq bonnes raisons de voir du pays : découvrir un nouveau monde, voyager librement, devenir autonome, se former à la tolérance et acquérir un gros avantage professionnel…
Guy Barthèlemy, instigateur de cette journée, prend le relais avec une analyse rigoureuse du texte de Joseph Conrad Au Cœur des ténèbres, avant de présenter deux chefs -d’œuvre originaires d’Afrique, une statue bakongo (Congo) et une autre Fang (Les Fang sont installés au Gabon et au Cameroun, « une statue qui sourit à son âme »…
La pause déjeuner digérée dans les superbes jardins de l’établissement, l’après-midi est consacrée au septième art avec « avec « L’Art du muet, du cinéma burlesque au western », par Jean Marker, suivi d’un cours (très interactif) de philosophie, assuré par un groupe d’étudiants (voir leur interview plus haut), autour de cette question « Faut-il toujours dire la vérité ? », et puis ou encore une pointe de Géographie autour du thème "Quelles transitions, quel monde demain ? Géopolitique, écologie et autres causes d’instabilité", par Pascal Baud, avant de poursuivre en chimie autour des « Poisons : quels types de substances ? Comment les détecter?, par Delphine Arciset, qui avait déjà assuré le TP de physique du matin. Cette riche journée se concluait par un échange autour de « La vie à l’internat des prépas de Champollion » et une visite des lieux.
Bref, des parcours inspirants pour une journée qui l’était tout autant. De quoi faire passer le message à tous les élèves, sans exception, qu’aucune filière ne vous résiste…
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L’interview en plus
Emilie Soumaré et Frédérique Montmayeur, professeures de français au collège Jean-Jacques Gallay, en charge de ce projet :
Pourquoi jugez-vous important de faire venir vos élèves aujourd’hui au lycée Champollion ?
ES : Souvent issus de milieux défavorisés, ils n’ont aucune connaissance de l’enseignement supérieur et on estime que c’est un peu notre travail aussi de leur donner les clés pour comprendre cette étape afin qu’ils puissent faire des choix éclairés et réfléchis.
FM : Il faut aussi que les enfants puissent se dire que ce n’est pas parce qu’ils viennent d’un établissement au fond d’une vallée, ou d’un établissement en éducation prioritaire, que leurs origines sociales semblent les écarter des études supérieures, qu’ils n’ont pas leur place dans un établissement de renom. Il faut les convaincre qu’eux aussi peuvent réussir des études difficiles
Scionzier, Grenoble, comment ce partenariat est-il né ?
C’est un message de Monsieur Barthèlemy qui invitait les élèves de lycée plus particulièrement à venir visiter les classes préparatoires de lettres. On s’est dit que ce serait chouette également si nos élèves de 4ème pouvaient venir aussi, on a donc tenté notre chance et avons obtenu une réponse positive. Cela fait désormais trois ans que nous venons, pour le plus grand plaisir des élèves.
Trois ans, cela ne laisse pas encore assez de recul pour savoir si des élèves ont intégré les classes prépas ?
FM : Pas assez de recul mais par contre les retours sont toujours supers positifs, du type : « Champollion c’était trop bien ».
ES : On se rend compte que cela leur a appris malgré tout à préciser leurs choix, par exemple des élèves de troisième sont plus pointus sur leur orientation et a priori c’est aussi grâce à ces sorties où on leur a expliqué qu’il fallait commencer à se questionner sur son orientation.
Les sujets abordés dans ces cours pouvaient sembler difficiles pour des collégiens, vous avez pu travailler avec vos élèves en amont ?
ES : Les professeurs de prépa font bien leur travail puisque leur programme reprend, à son échelle, le programme des quatrièmes, donc finalement nos élèves ne sont pas totalement dépaysés puisqu’ils ont dû en entendre parler en classe, ce sont des intitulés qui collent à leur programme de français ou histoire.
Une dernière chose à ajouter ?
FM : Une chose importante, nous avons pu mettre en place ce projet grâce à nos chefs d’établissement et au soutien de nos conseillers départementaux, ainsi que celui des représentants des communes d’où sont originaires les enfants, car un tel projet nécessite des transports et des financements, donc merci à eux pour toute l’aide apportée.
Mise à jour : juin 2025