Mercredi 9 avril, 10h20, un début d’incendie est signalé au troisième étage du bâtiment Bir Hakeim, dans les archives du rectorat de l’académie de Grenoble. Deux personnels, à proximité immédiate, sont pris au piège des fumées…
Telle est l’introduction de ce scénario aux répercussions possiblement dramatiques. Qu’on se rassure, tout ceci n’est qu’un entraînement afin de prévenir pour mieux agir.
Un scénario à la Hitchcock, ou presque !
Dans le bureau 503 du cinquième étage du rectorat voué à la Division de la logistique (DIL), le lieutenant Charon du SDIS 38 (Service départemental d'incendie et de secours de l'Isère), devant une assemblée concentrée, peaufine les derniers réglages et ajuste le scénario de la matinée : « Le début d’exercice est programmé à 10h20 avec la mise en route de notre machine à fumée. L’alarme se déclenche.
Tout le monde évacue sauf deux personnes. » Deux heureux élus qui ne sont autres que deux incontournables du rectorat Peggy, du secrétariat général et François, de la DIL. L’homme du feu s’adresse au duo : « La consigne est simple, depuis la fenêtre du bureau, vous dîtes aux équipes qu’il y a trop de fumée dans le couloir et que vous ne pouvez pas sortir. Normalement, vous devez être évacués par la grande échelle ou peut-être par les escaliers avec une cagoule d’évacuation, ce sont mes hommes qui vont décider. En moins de trente minutes, normalement cela devrait être terminé. » Peggy interroge alors le lieutenant : « - Nous sommes bien dans le bureau des archives ?
- Les archives, c’est le lieu de départ du feu avec des flammes de trois mètres de haut. Il vaut mieux que vous soyez dans le bureau d’à côté sinon ... »
L’assemblée sourit, elle a bien compris. Le sapeur-pompier retrouve son sérieux : « On va essayer de s’approcher au plus près du réel même si cela ne reste qu’un exercice avec les biais qui vont avec. Il y aura peut-être aussi des erreurs de notre côté, c’est aussi l’intérêt de cette simulation. »
Un exercice qui nécessite un travail de coordination entre les soldats du feu, les services de la division de la logistique du rectorat et la police municipale de la ville de Grenoble, mobilisée pour l’occasion afin de bloquer deux rues adjacentes du bâtiment mais également pour « soutirer » des informations au Commandant des opérations de secours (COS) et faire remonter le maximum d’informations au PC sécurité de la ville de Grenoble. Une police municipale qui n’était pas de trop pour faire de la place aux cinq véhicules impliqués (fourgon de la caserne de Grenoble, celui de Saint-Martin-d’Hères, l’ambulance d’Échirolles, la grande échelle/nacelle de Seyssinet-Pariset et le véhicule léger du chef de groupe de Grenoble), soit 18 sapeurs-pompiers au total.
Comment savoir si l’exercice sera réussi ? Le « Si on s’en sort » spontané de Peggy déclenche le fou rire général, avant que le lieutenant ne conclue : « S’il n’y a pas de victimes côté intervenant et si on a sauvé tout le monde. »
Avec eau ou sans eau ?
Caroline Cohen, Cheffe de la division de la logistique, Michel Mogis, son adjoint, et Antoine Coquatrix, chargé de sécurité sont à la baguette de cette opération du côté du rectorat. En aparté, le dernier nommé revient sur l’origine de cet exercice : « C’est une demande du secrétariat général afin de renforcer les exercices et sensibiliser davantage les personnels ». Alors certes, selon l’expert, il y a toujours des récalcitrants mais de moins en moins, la politique de prévention auprès des personnels semble porter ses fruits : « On a notamment réussi à recruter des serre-files. Les gens jouent le jeu aussi sur les formations proposées.
La dernière sur les extincteurs s’est très bien passée, tout le monde était réceptif et content. C’est aussi l’idée, faire évoluer les mentalités et préparer les personnels pour réagir efficacement en cas de problème. »
Un problème, le lieutenant Charon en soulève un au cours de cette réunion : « Souhaitez-vous une manœuvre sèche ou mettre les tuyaux en eau, au risque, peut-être, d’inonder un étage du rectorat ? » Le consensus est rapidement trouvé. Ce sera un mix des deux, des tuyaux dans les étages sans eau, mais la colonne sèche sera alimentée depuis le poteau incendie de la rue, via le fourgon, avec une évacuation de l’eau sur les toits (ndlr :en cas d’incendie, les pompiers branchent leur tuyau sur la colonne sèche et attaquent le feu dans les étages).
Tout est calé, l’exercice va pouvoir débuter selon les modalités choisies. Antoine Coquatrix nous glisse un dernier message, il a son importance : « Aujourd’hui, personne n’est prévenu de cet exercice incendie, c’est la surprise pour tout le monde, comme ça on garde les personnels plus impliqués. »
Des agents stoïques : « il faut le faire » !
À l’heure où retentissent les sirènes incendies et où les portes coupe-feu se referment, les agents évacuent dans le calme, sans panique. Les serre-files, en gilets fluo, veillent au bon déroulement des opérations et surtout à n’avoir oublié personne dans un bureau. Difficulté supplémentaire, nous sommes mercredi, il faut jongler avec les télétravailleurs. Avec l’habitude, le chemin est désormais bien connu, suivre les escaliers extérieurs pour accéder au jardin côté Stade des Alpes. Les groupes se forment et les discussions s’engagent, forcément autour du travail, conscience professionnelle oblige. L’occasion d’échanger avec des personnels croisés au hasard et recueillir quelques anecdotes, comme ce témoignage d’Emeline, souriante :
« Des collègues m’ont dit qu’ils avaient un travail à finir et qu'ensuite ils descendaient. Pas question, je leur ai bien rappelé qu’en cas d’incendie, on part tout de suite. » Tandis que pour certains cette pause est la bienvenue, pour d’autres, s’interrompre au milieu d’une tâche peut être contrariant. Bruno se veut philosophe : « L’avantage de ces exercices incendie, c’est qu’on peut croiser des personnes qu’on ne voit jamais, c’est sympa ! »
Bref ce n’est pas l’’euphorie dans les rangs, mais c’est un exercice auquel il faut bien se prêter.
« La sonnerie s'arrête, c’est bon on peut remonter ? » Non, pas encore, il faut attendre le feu vert de la DIL. La DIL, justement, s’affaire. On aperçoit au loin Caroline Cohen et Michel Mogis faire des aller-retours vers les pompiers et s’activer auprès des serre-files : « On leur demande s’ils ont bien vérifié tous les bureaux et si personne ne manque. Il s’agit de coordonner et donner les infos nécessaires au pompier, savoir si certains sont coincés aux étages et mettre en sécurité les personnes à mobilité réduite. »
Les pouces des sapeurs-pompiers se lèvent, la radio crépite, le signal est donné pour regagner les bureaux.
RetEx : « la peur fait faire n’importe quoi » !
Peggy et François échangent au pied du rectorat avec les pompiers. Les deux « victimes » sont émoussées par cette expérience : « On n’était pas trop rassurés quand il a fallu enjamber la fenêtre mais on nous a incité fortement à y aller, alors on a franchi le pas, ensuite on s’est assis dans la nacelle pour ne pas gêner leur vision. Le temps d’attente nous a semblé une éternité. Les pompiers étaient sereins, impressionnants même, très pros et très efficaces. C’est là qu’on repense aux cours de SST et qu’ils prennent tout leur sens, on t’apprend à ne pas te précipiter et observer avant d’agir. »
Le binôme a besoin de parler, de plaisanter même, c’est dans leur nature : « Bon, avec toutes ces fumées, on a bien besoin d’un jour de congés ou deux en plus pour aller s’oxygéner en montagne. »
« Et risquer de se blesser ? Non, pas question ! » plaisante Caroline Cohen.
La pression retombe. Peggy et François nous confient ce qui les a le plus marqué au cours de cette exercice : « Cette fumée, honnêtement c’est vraiment impressionnant, on ne voit rien du tout, on est obligé de se guider en longeant les murs. On n’ose pas imaginer la réalité. »
« Et encore ce n’est rien » témoignera un soldat du feu : « Quand il y a de la chaleur, la fumée est noire, toxique et opaque, elle circule plus vite et en hauteur, les gens paniquent et quand on arrive avec l’échelle, certains nous sautent dessus, au risque de nous faire chuter et eux avec. La peur n’est pas vraiment bonne conseillère. »
Évidemment cela ne donne pas du tout envie de connaitre ce genre de situation, sauf qu’un accident est si vite arrivé. Alors autant savoir comment agir le moment venu, comme les personnels du rectorat de l’académie de Grenoble !
L’interview en plus : Nicolas Marcet, commandant des opérations de secours
Quelle est votre première impression, à chaud, à l’issue de cette intervention ?
L’exercice s’est plutôt bien passé. Quand on arrive sur les lieux, notre première priorité est de savoir si l’évacuation du bâtiment s’est bien déroulée, sans qu’il n’y ait de victimes. Nous avons la problématique de deux personnes à mobilité réduite qui ne peuvent être évacuées donc nous avons dû les porter pour les descendre, et sur la façade côté feu, il y avait deux personnes aux fenêtres que nous sommes allées chercher avec la nacelle sur la grande échelle. Côté victimes, ce sont les seules problématiques, ensuite on engage des personnels vers les locaux pour essayer de déterminer ce qui brûle, pourquoi ça brûle, éteindre le feu et reconnaître la zone pour voir si personne n’a été oublié.
En tant que capitaine, vous optez tout de suite pour la grande échelle ou les escaliers ?
Ici nous avons opté pour l’échelle pour cette mise en sécurité car elle se déploie assez rapidement et évite toutes les incertitudes des passages dans les bâtiments, enfumés souvent, avec parfois des mauvaises surprises. De plus, les lieux sont prévus pour accueillir l’échelle, on privilégie donc cette situation qui est la plus rapide.
Qu’est-ce que vous direz à vos collaborateurs lors du retour d’expérience ?
Je les féliciterai, ils ont plutôt bien agi, chacun dans son rôle, en prenant la situation en compte au fur et à mesure que les engins se sont présentés. La coordination des moyens a été bonne pour arriver rapidement à une organisation et une intervention efficaces.
Grâce aussi à l’appui des services de la ville et du rectorat ?
Oui, tout à fait, c’est très fluide avec le rectorat, on identifie facilement les responsables avec leur gilet fluo et on reçoit rapidement les informations nécessaires. La police municipale aussi nous aide beaucoup en évitant d’être gênée par les véhicules, c’est un vrai travail d’équipe.
Travailler avec les autres casernes, c’est important ?
Oui, c’est essentiel pour parfaire les automatismes et rester complémentaires. C’est une habitude, car à minima, c’est un bâtiment remarquable par mois de l’agglomération passé à l’exercice incendie. Ils permettent de fluidifier notre fonctionnement, resserrer les liens et affiner les automatismes entre nous pour être toujours les plus rapides et efficaces possibles sur une intervention.
Dernière question, le lieu s’y prête, aujourd’hui c’est 10/10 pour vos équipes ?
Il y a toujours des choses perfectibles, c’est certain, mais dans l’ensemble cela a été efficace et c’est une intervention à classer dans les réussites.
Mise à jour : avril 2025