Le lycée Louis Armand (Chambéry) sensibilisé à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles

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Hélène BIGOT, présidente du tribunal judiciaire de Chambéry, a rencontré vendredi 24 janvier l’ensemble des élèves de terminale de l’établissement savoyard pour échanger autour de la thématique des violences à l’encontre des femmes.

Alors que 1 185 femmes ont été victimes de féminicides ou de tentatives de féminicides au sein du couple, en 2023 ; que près de 3 400 infractions pour outrage sexiste et sexuel ont été enregistrées par la police et la gendarmerie nationales cette même année ; qu’en moyenne, 230 000 femmes âgées de 18 ans et plus ont été victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles en 2022 (des chiffres qui ne reflètent pas toute l’ampleur des violences, car seulement 6 % des victimes déclarent avoir porté plainte* – un sujet encore à approfondir), on comprend alors pourquoi il est essentiel d’affronter le thème des violences faites aux femmes avec lucidité, pour mieux le combattre, libérer la parole – à l'image de Gisèle Pélicot et de son immense courage – et l’éradiquer.

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Cette intervention au sein du lycée Louis Armand s’inscrit dans une démarche de réflexion menée toute l’année autour de cette thématique. Déjà, les 5 et 9 décembre dernier, le CIDFF (Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles) rencontrait l'ensemble des élèves de première et de terminale professionnelle, soit 700 élèves sensibilisés autour d'une projection débat à partir du documentaire "Viol, un défi pour la justice".

Une juriste et une chargée de prévention se chargeant ensuite d’animer les débats. Plus tard dans l’année, les élèves de terminale professionnelle assisteront également au spectacle "Mémoire d'une fille" réalisé par la compagnie « Depuis l'aube » autour de la lecture d'extraits du roman d'Annie Ernaux, prix Nobel de littérature.

Programmé en mars à l’occasion de la journée des droits des femmes, ce spectacle sera suivi d'un échange avec les comédiens autour du consentement et des violences sexuelles. La tenue de cette conférence du 24 janvier, inscrite dans cette dynamique d’information, doit essentiellement au duo de référent et référente égalité de l’établissement, Manon BRIGLIA et Nicolas LAURENT. Ce dernier témoigne de l’importance de cette rencontre : « l’intervention de cet après-midi s’inscrit dans le cadre du label égalité pour lequel le lycée est pleinement impliqué, mais également en relation avec trois séances annuelles obligatoires d’éducation à la sexualité. On souhaitait vraiment que ces actions s’adressent à l’ensemble des terminales générales et technologiques. Il est évident que ces questions sont au centre de l’actualité, il y a eu le procès Mazan dont on dit qu’il sera historique. On trouvait qu’il était vraiment important, cette année, pour nos élèves de Terminale qui vont être amenés à exercer leur droit de vote, d’être formés et éclairés sur toutes ces thématiques liées à l’égalité ».

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Si tu ne viens pas au tribunal …

La présidente du tribunal judiciaire de Chambéry n’avait pas fait seule le court déplacement la séparant du lycée Louis Armand. En effet, c’est accompagné d’avocats, gendarme et psychologue que Madame Hélène Bigot se présentait devant les terminales de l’établissement. L’accueil des élèves et conférencières était assuré par le duo de référent égalité : « nous avons l’honneur de recevoir aujourd’hui Hélène Bigot. Vous qui avez ou allez bientôt avoir 18 ans, avez des droits mais aussi des devoirs. Cette intervention va vous aider à appréhender ce fait en comprenant notamment le fonctionnement de la justice. Ce sera aussi l’occasion, à l’heure du procès Mazan, d’évoquer les luttes contre les violences sexistes et sexuelles avec cette question fondamentale du consentement, au cœur de vivre ensemble. Cette notion d'égalité est fondamentale pour créer une société plus tolérante, une société que vous allez construire tous ensemble ».

Assis à l’arrière de l’amphithéâtre, Yann et Aurélien ont hâte que la conférence débute : « on est curieux de savoir de quoi ça parle et surtout intéressés par les notions de droit qui seront abordées ».

Les derniers réglages du diaporama effectués, Madame Bigot débute le tour de table dans l’ordre chronologique d’un procès pénal. On débute donc par la gendarmerie, responsable de l’enquête. Camille FINNAZ, Maréchal des Logis – Chef, rappelle alors les différentes missions qui lui incombent : « protéger la population, notamment les personnes les plus vulnérables et instruire des enquêtes ». Laura VANDEMEULEBROUCKE, psychologue à l’UAPED (Unité d’Accueil Pédiatrique Enfant en Danger), prend le relais : « nous accueillions dans notre unité tous les mineurs en détresse, avec l’idée de les aider et recueillir leur parole ». Au tour de Hélène Bigot de détailler sa fonction de présidente de tribunal et semer, ici et là, quelques graines de futurs métiers : « j’ai passé le concours de l’école nationale de la magistrature pour devenir magistrate. Le procureur est le représentant de la société et le Juge définit la culpabilité. Je travaille en binôme avec un greffier qui est la plume et la mémoire du juge. Beaucoup de postes vont s’ouvrir au concours pour devenir greffier, je dis ça, je ne dis rien ». Sourires dans la salle, le message semble passé. La parole est enfin à la défense, Me Camille BERT et Me Elodie BRET, avocates : « notre but est de conseiller et assurer la défense de nos clients et ce dans de nombreux domaines possibles ».

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A quoi sert la justice ?

Vaste question à laquelle Hélène Bigot apportera une réponse en détaillant ses spécificités : « la justice sert à trancher les litiges entre particuliers, sanctionner les atteintes à la loi et protéger les personnes vulnérables. Il existe trois degrés de juridiction, le premier c’est le tribunal, le second c’est la cour d’appel et le dernier, la cours de cassation ». On aborde alors les parties plus techniques mais la magistrate se veut pédagogue, elle implique son auditoire : « que se passe-t-il si je dépose plainte ? Est-ce que l’absence de plainte empêche l’enquête ? Quel est la définition du vol, de l’abus de confiance ? Quelle est la différence entre un meurtre et un assassinat ? ...» Des exemples concrets viennent étayer les propos : « si tu me voles ma trousse, ce n’est pas la même chose que si tu me la voles et que tu me tapes, ce sont alors des circonstances aggravantes ».

Et la première magistrate du tribunal de rappeler ces fondamentaux du droit : « pour chaque infraction, il existe une ligne dans le code pénal. En droit, tous les mots ont un sens car le doute doit profiter à la personne jugée, et ce pour éviter de mettre des innocents en prison ».

Les violences sexistes et sexuelles au cœur des échanges.

La différence entre les deux ? Les premières ne sont pas inscrites dans le code pénal. Le ping-pong avec la salle se poursuit : « les agressions sexuelles c’est un crime ou délit ?  Quelle est la différence entre une agression sexuelle et un viol ? Un jeune qui reçoit, via les réseaux sociaux, une image pornographique, est-ce une agression sexuelle ? Quelle est la différence entre pornographique et pédopornographique ? … »

Les mots sont parfois difficiles à entendre mais ils correspondent malheureusement à la réalité. Où l’on évoque alors le procès de Mazan et cette notion de consentement.  Les avocates, gendarme et psychologue apportent leur éclairage sur chaque situation avec notamment une intervention pointue de Laura VANDEMEULEBROUCKE qui détaille les mécanismes psychiques des victimes d’agression : « stress, figement, sidération et le corps passe en mode off pour se protéger, voire aboutit à une amnésie traumatique avec une impossibilité d'accéder à la mémoire. La conscience a oublié mais le corps se souvient, c’est le stress post traumatique avec la nécessité de se soigner et surtout d’en parler ».

Camille FINNAZ, gendarme, rebondit sur ce dernier point : « les forces de l'ordre sont formées à ces périodes de sidération, elles peuvent entendre ça, la victime ne doit jamais culpabiliser ». Hélène Bigot corrobore le tout : « il faut libérer la parole que l'on soit victime ou témoins et savoir parler parfois à la place de ses amies. Ne pas parler c’est ne pas rendre service, il en va de notre responsabilité en tant que citoyens. »

Les deux avocates déclinent ensuite les structures existantes au sein de l’agglomération chambérienne et du département savoyard pour porter assistance aux victimes : les numéros utiles, les associations…

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Le dernier temps de l’après-midi est consacré aux questions des élèves. Les intervenantes sont notamment interpellées autour de la justice réparative, les plaintes pour viol classées sans suite (« pas assez d'élément pour matérialiser l'infraction mais cela ne veut pas dire qu’il n'y a pas de victime » dixit Camille Finnaz), les peines courtes prononcées alors que les conséquences sur les victimes sont graves, le consentement ... La présidente du tribunal judiciaire de Chambéry en profite pour rappeler la vérité des tribunaux, souvent éloignée des réseaux sociaux et des plateaux télés. L’occasion également pour la représentante des forces de l’ordre d’inciter à regarder cette capsule vidéo intitulée le consentement expliqué avec une tasse de thé : « elle est exceptionnelle et explique tout sur cette notion, il faut la repartager, et je rappelle que le silence ne vaut pas consentement ».

L’heure défile très vite, trop vite. Hélène Bigot ponctue ce temps intense sur un dernier mot : « nous vous remercions pour votre attention, on espère que cela vous a éclairé et intéressé. S’il ne fallait retenir que deux choses ; c’est parler ou aider à parler et respecter l'autre ».

On espère alors que le message fera son chemin et que ces paroles essentielles sauront briser le mur de l’intolérance et des récalcitrances. Dans le sillage du lycée Louis Armand notamment.

*Source : observatoire national des violences faites aux femmes

 

L’interview en plus :  Hélène Bigot : « rétablir des vérités »

Cette présentation de la justice c’est aussi une façon de faire de la prévention ?   

L’idée n’est pas de désengorger les tribunaux mais d’apporter un éclairage professionnel à des jeunes futurs citoyens. Le réseau judiciaire savoyard est très développé avec une maison de protection des familles gérée par la gendarmerie qui est hyper investie, c’est aussi le cas du conseil départemental d’accès au droit, notamment auprès des jeunes, car je pense que l’on forme aujourd’hui nos citoyens de demain. Nous menons des actions de sensibilisation à l’accès au droit également vers des primaires et collèges. Aujourd’hui la thématique est centrée sur les violences à caractères sexistes et sexuels car effectivement cela fait partie de thèmes récurrents qui travaillent les jeunes, il est donc important qu’ils aient à l’esprit ce dont il s’agit. L’idée générale était d’investir l’ensemble des partenaires, y compris les avocats, pour déconstruire des idées tiktok, combattre des préjugés mais aussi les informations erronées. Il est aussi important d’expliquer les différences entre crimes et délits pour apporter du contenu afin de juger de la graduation des peines.

Vous avez également évoqué la parole des médias qui diffère de celle de la justice ?

Les médias sont là pour faire de la pédagogie avec nécessairement un passage de vulgarisation et parfois des raccourcis nécessaires judicieux, même si le droit et les raccourcis ne sont pas très compatibles. Sauf que parfois c’est mal fait et cela dispense des idées fausses qui ne construisent pas correctement nos jeunes, c’est aussi pour cela que nous intervenons auprès d’eux, pour rétablir des vérités.

Mise à jour : février 2025