F. Lecointre, ancien chef d’état-major des armées, en conférence au lycée Mounier : objectif paix !

À l'occasion de la sortie de son livre « Entre guerres », François Lecointre, grand chancelier de la Légion d’honneur, était présent mercredi 29 janvier afin d'échanger avec les élèves du lycée grenoblois sur les conflits d'aujourd'hui.

Répondant à l’invitation de l’association « l’École de la paix » et du lycée Emmanuel Mounier, l’ancien militaire, présent sur de nombreux théâtres d’opération ces dernières années (République Centrafricaine -1989, Guerre du Golfe -1991, Somalie -1993, Gabon puis Rwanda -1994, Sarajevo -1995, Côte d’Ivoire en tant que chef de corps avec son régiment lors de l’opération Licorne -2006), a évoqué notamment le point de vue de l’armée sur les liens entre guerre et paix, une thématique qui fait écho aux thèmes abordés lors de l'enseignement de spécialité HGGSP (Histoire Géographie Géopolitique Sciences Politiques) des classes de Terminale.

Concevant des ouvrages, des parcours éducatifs et des expositions interactives, l’école de la paix vise à amener « les enfants et adolescents à réfléchir sur leurs paroles et leurs actes et à acquérir les attitudes et les comportements du vivre ensemble ». Une voie de la réflexion désormais bien engagée pour les élèves du lycée Emmanuel Mounier.

« Foutre la paix à la guerre » ! (Michel Serres)

En amont de cette visite, le hall de l’établissement grenoblois accueillait une exposition intitulée « Terrains de conflits - visions et actes de paix » invitant à travers la beauté et le souffle artistique à élargir le champ des possibles et construire la paix. Même si la guerre peut sembler très éloignée de nos contrées (quoiqu’aux portes de l’Europe), les thèmes abordés relèvent également du vivre ensemble et des valeurs qui lui sont associées. Où l’on évoque principalement le respect avec quelques slogans inspirés : « l’acceptation de la différence plutôt que la peur de l’autre », « le compromis plutôt que la rupture », ou encore « la gestion des crises ensemble plutôt que la guerre ».

Un respect de l’autre qui passe évidemment par l’éducation car, comme le rappelait avec poésie un certain MC Solar, « l’ignorance est le nerf de la guerre ». Une éducation qui se décline sous toutes les formes possibles, comme l’éducation à la citoyenneté pour construire un territoire de paix à longue échéance, l’éducation à l’égalité filles-garçons pour faire évoluer les mentalités, l’éducation au développement durable…

L’exposition « Terrains de conflits - visions et actes de paix » abordait, dans un second temps, les conflits et leur processus de résolution, ainsi que la reconstruction d’un vivre ensemble une fois que les armes se sont tues. Comme un écho à Georges Clemenceau constatant qu’« il est plus facile de faire la guerre que la paix ».

De guerre lasse

Une fois l’exposition assimilée (en place dans l’établissement depuis mi-décembre) les terminales des lycées Mounier, Champollion et leurs enseignants, soit une centaine de personnes, étaient fins prêts à recevoir François Lecointre avec les honneurs dus à son rang. Support des échanges et thématiques abordés, « Entre guerres », le livre écrit par l’éminent militaire (évoqué ici dans cet extrait de l’émission La grande librairie), a permis d’engager la discussion sur les conflits présents sur la planète et les différentes pistes de résolution.

Le CDI de l'établissement sera le théâtre des échanges.
L’assemblée patiente en musique. « Imagine » aurait pu être le son du jour tandis que « The Sound of silence » résonne dans les enceintes. Une musique qui trouve tout son sens à l’instant où général Lecointre, solaire, fait son apparition dans la pièce. Chacun se redresse sur sa chaise, on croirait entendre les mouches voler. Joseph Sergi et Richard Pétris, fondateur et directeur de l’école de la paix, se chargent alors des présentations : « Nous avons l'honneur de recevoir le général Lecointre ici à Grenoble, il nous semblait intéressant de croiser nos regards autour de cette problématique de guerre et de paix qui a toujours fait partie de la vie des femmes et des hommes ».
Deux heures durant, les élèves pourront écouter le point de vue l’expert, étayé par ses compétences techniques et son expérience du terrain.

« Oratores, Bellatores, Laboratores … »

Monsieur Lecointre, assis face à l’assemblée, débute son propos sous un angle historico-philosophique : « Le principe de la guerre et de la paix est lié à la relation à la force. Note civilisation est issue d'un processus de canalisation de celle-ci, elle émane d’un ordre tripartite : ceux qui essayent de comprendre les mystères, ceux qui travaillent et qui vont produire la richesse, et ceux qui vont avoir l'obligation de mettre en œuvre la force au service du reste de la société, les guerriers. On peut commencer à voir naître une civilisation lorsqu’on est débarrassé de cette nécessité de se défendre, en envisageant ensuite de construire des richesses ». Découle ensuite l’usage de la force mis en œuvre de deux façons : « Les forces de sécurité vont protéger la société contre les agressions extérieures et intérieures, la loi limite alors le recours à la force à la légitime défense car dans nos sociétés, la valeur la plus importante, c’est la vie humaine. La force militaire, elle, doit protéger la société contre une menace de mort de la nation, c’est une force pour tuer et détruire. C'est comme cela que sont organisées les grandes démocraties ».

Philosophie toujours, le militaire soumet les élèves à une question qu’il avait l’habitude de poser à ses troupes :

  • Savez-vous pourquoi votre métier est différent des autres ?
  • Parce qu’on peut risquer notre vie pour notre pays.
  • Non, d’autres professions prennent aussi des risques. Ce qui fait que votre métier est incomparable, c’est que vous êtes prêts à tuer si l’on vous en donnait l’ordre. Vous tuerez au nom de vos concitoyens en engageant leur responsabilité, pour la société.

Droit dans la guerre, droit de la guerre

L’assemblée est captivée. Le général Lecointre ne ménage pas son auditoire : « C’est un peu brutal ce que je vous dis.  Les conditions d’usage de la force sont régies par des règles qui disent comment tuer, jusqu’où tuer et qui tuer ».

Retour dans le passé avec la naissance de l’ONU : « Tout au long de l'évolution, les civilisations se sont posées la question de réguler la guerre mais pas de la supprimer, en se disant si la guerre doit advenir alors que nous cherchons tous la paix, il faut qu’elle soit le moins atroce possible. Puis nous avons connu, nous européens, les deux guerres, une sorte de suicide collectif qui a conduit à la mort de millions d'hommes et ensuite la Shoah, ce génocide. L'ONU et tout un corpus d’instances de justice internationale qui jugent les hommes politiques responsables de guerre ont été créées et cela a fonctionné. Ainsi, ma génération a eu la chance de ne pas connaître la guerre, je n’en dirais pas autant pour la vôtre ». Une petite phrase lourde de sous-entendus…

Un atout dissuasif !

Aucune note, le général Lecointre en impose et déroule ses éléments. Les enjeux stratégiques mondiaux deviennent plus évidents. La France, dans le sillage de l’Europe, a commis une erreur majeure : « Depuis mes théâtres d’opération extérieure, Je voyais ma société dans une sorte de bulle, tellement civilisée, nous pensions que nous étions définitivement à l'écart de ce risque de conflit, un risque qui concerne cependant deux tiers des hommes dans le monde. Les européens se sont alors laissés à penser qu’ils n’auront plus à recourir à la force mais c’était une utopie de croire en un monde débarrassé de la violence, car dans le cœur des hommes, il y a cette violence. Est-ce de la suffisance, de l’arrogance, une espèce de naïveté collective ? Toujours est-il que nous avons baissé cet effort de défense et désormais nous sommes exclusivement dépendants de la volonté américaine ».

Heureusement, la France possède un joker majeur dans sa manche : « Lorsque le général De gaulle arrive au pouvoir en 1968, il lance la dissuasion nucléaire sur le constat suivant : la France c’est 47 millions d’habitants, il faut donc construire une arme capable de tuer 47 millions de personnes. Et tout le monde se met en ordre de marche pour cela avec un cout financier important. Désormais, il faut tirer les leçons du passé et à partir de maintenant, nous allons devoir regarder la réalité en face, sans renoncer à nos idéaux, à notre solidarité mais notre parole ne sera crédible qui si elle est appuyée par la force. »

« La guerre civile ? la pire chose qu’il soit »

Pause, une gorgée d’eau, le temps de laisser la parole aux élèves : « Est ce que vous avez fait la guerre au Rwanda ?»

La question fait mouche, le souvenir est douloureux : « Les haines au sein des populations, sont tenaces. Oui j’ai fait la guerre au Rwanda, ce pays m’a marqué. J’ai découvert là-bas une chose, qu’il n'y avait pas de gentil et de méchant. La ligne qui sépare le bien et le mal passe au milieu de chacun de nous ». Et le général Lecointre de se replonger dans des souvenirs douloureux, la découverte de charniers au milieu de dispensaire faisant office de maternité. Où la question de vengeance resurgit quand tout un village entier souhaite lyncher un des protagonistes de cet acte innommable. La conscience interroge. L’envie de tuer est là y compris au sein de l’escouade militaire … « mais non, on ne l’a pas fait ».  Le grand chancelier de la Légion d’honneur justifie : « La seule chose qui permette d'éviter un degré de barbarie, c'est de considérer que chaque personne est prisonnière de guerre et qu’il faut faire référence au droit, même si dans le chaos de la guerre, certains bandits profitent de la situation et font régner la terreur pour les populations civiles avec des actes plus atroces les uns que les autres ». Monsieur Lecointre évoque alors le Burkina Fasso, « un pays au bord du chaos où la situation est connue de l’ONU mais l’engagement est encore au stade de la réflexion ». Une étape que la France pourrait franchir aisément car il s’agit du « seul pays de l’UE, capable de décider s’il veut s’engager dans un conflit, sans l’accord du parlement ». Afrique toujours où « face à l’explosion démographique, l’Europe doit construire des initiatives dans ce continent car son engagement est vital ».

L’OTAN fait aussi partie des sujets abordés par les élèves, toujours autant intéressés : « Piloté par les Etats-Unis, c’est aussi une alliance nucléaire, c’est ce qui lui donne sa force ». La fusée Arianne s’invite aux débats avec cette idée sous-jacente de « construire des sous-marins nucléaires lanceur d'engin pour envoyer des missiles balistiques ». Le général Lecointre, citant alors un entrepreneur français reconnu dans l’armement : « L'industrie de défense mène à des degrés de technologie extraordinaire et si un pays est capable de construire un avion de chasse seul, cela signifie qu’il maitrise 13 des 15 outils technologiques de demain ». Une référence certaine au célèbre Rafale..

Sous la carapace…

Les deux dernières questions sont un peu plus personnelles : « Pourquoi vous-êtes-vous engagé dans l'armée ? Avez-vous des remords ? » François Lecointre se livre sans concession : « Jeune, je doutais énormément de moi, je me considérais comme quelqu’un de peureux, contemplatif, feignant, je ne m'aimais pas beaucoup pour tout dire. Issu d’une famille militaire et inspiré par des figures familiales fortes, je me suis dit que l’armée était la voie qu’il fallait que je prenne pour me hisser au-dessus de moi-même, je me suis engagé dans l’armée, comme tant d’autres, pour me pousser à me dépasser .»

La sonnerie retentit, signe que l’intervention touche à sa fin. François Lecointre tient à répondre au sujet des remords : « Quand vous tirez sur quelqu’un, sauf si vous êtes un psychopathe, vous n'en sortez jamais indemne. Quand un de vos hommes meurt à vos côtés, est-ce la conséquence d'un mauvais ordre ? La douleur est constante. Là où je n’ai pas de remords, c’est que nous étions un ensemble d’hommes, de frères soudés portés par un idéal de service. »

Une salve d’applaudissements vient saluer cette intervention passionnante : « N’hésitez pas, lisez mon livre, il retracera nos échanges ».

La salle se lève, quelques élèves viennent saluer et prendre des selfies avec Monsieur Lecointre, l’occasion de lui poser dernière question :

  •  Ce dont vous êtes le plus fier au cours de votre carrière militaire ?
  • Ma plus grande fierté ? Avoir toujours su garder ma boussole, toujours réussi à conserver un comportement droit.

Le cap est donc donné pour élèves de Terminale spécialité HGGSP qui auront eu l’opportunité, grâce à cette belle rencontre avec l’ancien chef d’état-major des armées françaises, de suivre une formation accélérée sur la nature des différents conflits dans le monde. Avec l’idée de mieux les appréhender, pour un jour peut-être, mieux les éradiquer. Mieux faire la guerre à la guerre en somme…

 

Mise à jour : février 2025