Dans le cadre du Groupe de formation académique Égalité fille-garçon, Aïna Chalabaev, enseignante-chercheuse en psychologie sociale des activités physiques et sportives, s’est déplacée vendredi 10 janvier au lycée Mounier pour aborder la question des stéréotypes de genre dans le sport.
En toile de fond de son intervention et des échanges fructueux avec des enseignantes formatrices et enseignants formateurs, la nécessité de faire évoluer les mentalités pour offrir à tous mais surtout à toutes, la liberté de pratiquer l’activité physique ou sportive de son choix.
« Le rugby c’est un sport d’hommes », « le foot ce n’est pas pour les filles » « un garçon qui fait de la danse c’est bizarre » …
Voilà le genre de réflexions déplacées qui accompagnent encore trop souvent les pratiques sportives, interrogeant tantôt la « virilité » masculine, tantôt la « fragilité » supputée des filles, cantonnant ces dernières à certaines pratiques sportives.
Heureusement, les temps changent et les mentalités évoluent, bien aidées en cela par des travaux basés sur la recherche. C’était le sens de l’intervention de la professeure des universités à l’UFR STAPS de Grenoble à destination des adultes formateurs issus de toute l'académie de Grenoble, qu’ils soient CPE, enseignantes ou enseignants, infirmières ou infirmiers scolaires, documentalistes ou professeur(e)s dans toutes les disciplines du second degré.
Directrice du laboratoire Sport et environnement social à l'Université Grenoble Alpes, Aïna Chalabaev est avant tout une passionnée de sport. Foot (ex GF38 féminin), tennis de table, course à pieds, volley… aucun sport ne lui résiste. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, l’enseignante a pu tester les réactions sur sa propre personne. Si la pratique du ping-pong, volley ou trail semble plutôt bien acceptée par l’entourage, le football pose encore problème, du côté des anciens camarades de classe notamment ou encore des spectateurs. Les insultes alternent avec les moqueries et autres quolibets. Et pourtant, depuis 2018, c’est 400 % de filles licenciées en plus dans les clubs de foot, même si le ratio global reste encore faible avec seulement 10 % de la gente féminine pratiquant dans un club.
Si le regard de l’autre oriente le choix de la pratique sportive, l’explication est à rechercher, selon Aïna Chalabaev, sur le plan de la psychologie et ce besoin d’appartenance social, simplifié ainsi : on se perçoit selon la façon dont les autres nous perçoivent. D’où l’importance de faire bouger les lignes.
Pire encore, selon la chercheuse, « les facteurs sociétaux que constituent les stéréotypes peuvent s’imprimer dans des processus cognitifs, affectifs, motivationnels, physiologiques, et comportementaux, conduisant ainsi à leur confirmation comportementale », ce qui signifierait que les stéréotypes influeraient également sur les performances.
Des idées débattues pendant presque 2h devant un public attentif et interactif, où il fut question de déterminisme, d’inégalités « naturelles », de catégorisations sociales, de biais et de perspectives.
L’arbre qui cache la forêt !
Faisant face à une vingtaine d’enseignantes et enseignants formateurs, Aïna Chalabaev débute son propos sur une note somme toute positive : « Il existe certains domaines de la vie sociale ou l'on reconnaît que les inégalités hommes femmes sont problématiques et qu’il est important de les résoudre. Les salaires notamment ou encore l’orientation post bac qui sont sous l’influence des déterminismes ». Idem dans le domaine privé où la balance charge mentale / partage des tâches domestiques penche nettement en défaveur des femmes avec un taux atteignant les 72%.
C’est déjà un bon début de reconnaître cette évidence et de vouloir y remédier. Sauf que le sport semble échapper à ces considérations, un domaine où l’on a encore « trop tendance à considérer ces inégalités comme naturelles, liées notamment à la masse musculaire ou la composition corporelle et autres facteurs biologiques tels que le transport d’oxygène dans le sang. Et de fait, les inégalités ont moins tendances à être remises en cause » constate Aïna Chalabaev.
Et gare à l’effet trompe l’œil, ce que la chercheuse nomme « l’illusion paritaire », avec notamment une médiatisation accrue du sport féminin. Or celui-ci ne représente que 17% des sports diffusés dans organes de presse. Lors de l’année 2023, seulement 4 unes d’un célèbre quotidien sportif ont été consacrées au sport féminin. Notez aussi les petits 14% des postes de décision sportives occupés par des femmes ou encore les trois présidences régies par des femmes sur les 37 fédérations olympiques listées en 2024 (sports de glace, hockey, et handisport).
Alors oui, téléviser l’euro et le tour de France féminin, même s’ils montrent la voie, ne pèse guère face à l’hégémonie des succès commerciaux lorsque le sport se conjugue au masculin. Il faut dire que le mal puise ses racines dans les tréfonds historiques, là où les femmes sont réduites à leur côté « reproducteur », justifiant des exclusions de pratiques sportives pour protéger le sacro-saint utérus. Dans le registre des sports interdits aux femmes, on retrouve par exemple le saut à ski féminin qui fait son apparition aux J.O d’hiver en … 2014 ou encore le kayak pour lequel ramer alternativement de gauche à droite ne serait pas bon pour ces dames. « Il ressemble pourtant au geste du balai qui nous est bien autorisé celui-là », rétorquera avec répartie une participante, déclenchant l’hilarité générale.
Retrouvant son sérieux, l’assemblée ne peut que constater cet ancrage dans l’inconscient collectif de la norme du sport masculin, en attestent ces études française et anglaise qui portent sur l’injonction suivante : « dessine une personne qui fait du sport ». Les résultats sont sans appel : 100% des garçons et 70% des filles de classes de CM2 dessinent un garçon.
Les expressions dévalorisantes dans le discours social telles que « faire des pompes de fille », « courir comme une fille » n’aident pas non plus à mettre en avant l’image de la femme dans la pratique sportive.
Aïna Chalabaev souligne également l’existence de règlements différents selon les sexes, 100m haies/110m haies, Heptathlon/Decathlon, 2 sets gagnants / 3 sets gagnants au tennis, etc.
Heureusement, des coups de boutoirs, sous forme d’images chocs, sauront faire trembler l’édifice inégalitaire… On pense notamment à cette photographie iconique de Kathrine Switzer, première femme à courir le marathon de Boston en 1967 en dépit de l’interaction en vigueur, ou encore celle de Sophie Power allaitant son bébé de trois mois lors d’un ravitaillement, au cours de l’exigeant ultra-trail du Mont Blanc (qu’elle finira d’ailleurs), et ce pour éviter de perdre son droit à participer à l’édition.
« Mécanismes psychologiques »
Aïna Chalabaev aborde ensuite la partie technique en détaillant ce concept mental qui participe à la construction et au maintien des inégalités dans le sport, nous amenant à les considérer comme « naturelles ». Il est alors question de catégorisations sociales et déductives qui ont l’avantage (ou plus certainement l’inconvénient) de permettre au cerveau de ranger sans effort les individus que l’on croise dans des catégorises selon leur, âge, sexe, couleur de peau, handicap etc. Conséquences de ce « classement », des biais s’insinuent dans la façon dont on perçoit les choses. Ces derniers laissent à penser que « cette différence fille garçons n'est pas si prégnante que cela ». On parle notamment de biais de généralisation des performances (chez les sportives et les sportifs de haut niveau, les hommes seraient toujours plus performants que les femmes, alors que ce n’est pas toujours le cas, comme lors de nage en situation extrême) ; de biais de généralisation des populations où l’on apprend qu’avant la puberté, il n'y a pas de différence de performance entre fille et garçon ; des biais attentionnels confortant la norme masculine dans le sport etc.
Lors de son dernier temps d’intervention, la chercheuse de l’UGA évoque les pistes d’actions « pour lever les freins aux stéréotypes ». Sont alors cités la favorisation d’un cadre de pratique équitable, le développement de la recherche scientifique sur les filles dans les activités physiques et sportives (jusque-là, les recherches impliquant des sportives étaient limitées car les cycles menstruels fausseraient les études) et surtout l’éducation, en prenant conscience de ses propres biais et être motivé à les dépasser. Aïna Chabalaev ponctuera ainsi son intervention en insistant sur le rôle fondamental de l’école, citant la pédagogue Annick Davisse : « Pour le temps personnel, comme pour les adultes, c’est évidemment affaire de choix, mais, précisément, il revient à l’école de créer les conditions de la liberté réelle de choix ».
Les applaudissements (nourris) passés, Myrtille Gardet, référente académique égalité filles-garçons, à l’origine de cette conférence, remerciera chaleureusement Aïna Chabalaev pour la qualité de l’intervention, marquant certainement le début d’une future collaboration.
Le temps de ranger ses affaires, Amandine, professeure de sciences, revient sur ce moment qu’elle a particulièrement apprécié : « cela m’a apporté des données statistiques scientifiques factuelles, je pourrai les utiliser dans ma vie professionnelle afin de savoir comment sensibiliser les élèves, car les inégalités soi-disant physiologiques reviennent régulièrement dans les échanges. Dans ma vie personnelle, elles me serviront lors de mes interactions fréquentes sur ces questions-là. Cette conférence était hyper enrichissante, elle va éclairer mes cours. Ce sera aussi l’occasion d’évoquer le sujet avec les professeurs d’EPS ou de sciences qui n’ont pas ce recul-là sur la question, cela pourrait servir d’arbitrage. Je dirai aussi que ce genre de conférence permet de faire évoluer les mentalités, ce serait même super bénéfique que l’on puisse les avoir dans les établissements pour de la formation d’adultes ».
Un vœu en guise de conclusion, il faut dire que la période est propice.
Souhaitons alors qu’un jour chacune et chacun puisse pratiquer le sport de son choix, sans que personne n’y trouve rien à redire.
Mise à jour : février 2025