Questions - Réponses ! Annabelle Latour et Didier Martin : semaine de la persévérance scolaire

Annabelle Latour, coordonnatrice académique de la mission de lutte contre le décrochage scolaire et Didier Martin, délégué académique à la pédagogie se projettent sur la semaine de la persévérance scolaire (31 mars au 04 avril) et nous expliquent les enjeux de cette cause nationale.
Le décrochage scolaire est un processus progressif qui peut conduire un jeune à quitter l’école avant même d’avoir obtenu un diplôme ou une certification professionnelle. Ce phénomène pose la question du rapport du jeune, de l’individu à l’institution scolaire.
Concernant mes missions, pour être brève, je dirais que c’est un appui au pilotage concernant la problématique du décrochage au sein de la DRAIO (service de délégation de région académique à l’information et l’orientation organisé à la fois pour l’académie de Grenoble et pour la région académique, avec l’académie de Clermont et Lyon). C’est aussi l’ambition d’accompagner les personnels des établissements pour les aider à travailler sur la prévention du décrochage et la persévérance. Et on a aussi des dispositifs qui accompagnent des jeunes décrocheurs que l’on essaye de remobiliser pour aller vers la formation.
La fonction de DAP a été mise en œuvre dans l’académie à la rentrée scolaire 2023.
Le cœur de la mission consiste à contribuer à la conception de la politique pédagogique académique.
À cette première mission s’ajoute évidemment un rôle d’impulsion de différents collectifs (inspecteurs, chefs d’établissement, formateurs…) pour engager tous les acteurs dans le déploiement de cette politique pédagogique à toutes les échelles et dans tous les territoires.
Enfin, j’assure également un rôle d’accompagnement des cadres et des équipes pédagogiques, avec un objectif : le déploiement de pratiques efficaces et équitables, en inter degré, en inter catégoriel et en inter métier, tout en assurant la cohérence et la fluidité des actions déployées.
Oui, effectivement le repérage précoce est essentiel pour agir à temps.
Les signes à surveiller se caractérisent dans trois registres :
Dans l’attitude de l’élève
- Absences répétées ou allongement progressif des absences.
- Désengagement en classe, passivité, baisse de participation.
- Isolement ou comportements perturbateurs.
Dans les résultats scolaires
- Chute soudaine des notes, devoirs non rendus.
- Désintérêt pour certaines matières ou pour l’école en général.
Dans les interactions sociales
- Conflits avec les enseignants ou les camarades.
- Découragement exprimé du type “l’école, ça ne sert à rien”
Ce sont autant de signaux qu’il faut identifier, accompagner et décortiquer pour éviter d’en arriver au décrochage scolaire, et être dans une logique d’anticipation et de prévention.
Je vais en citer quelques-uns, en sachant que tous ces signaux recueillis avec les enseignants nous permettent, en groupe de prévention du décrochage scolaire (GPDS) réunis dans les établissements qui rassemblent des experts, en croisant les regards, de décider de mettre en place un parcours aménagé de formation initiale qu’on appelle PAFI ou PAFI-TDO avec ouverture avec des partenaires comme des missions locales jeunes, les écoles de la seconde chance (E2C) ... Ils permettent au jeune, sur un temps donné, avec un rythme et un suivi, de sortir un temps de la classe, de sa formation initiale, pour se mobiliser, découvrir autre chose, à travers des ateliers proposés par des partenaires ou une immersion en entreprise, afin de se raccrocher à la formation dans laquelle il s’est engagé, ou aller vers une autre formation.
Des actions se développent de plus en plus, comme le tutorat ou le mentorat. Le tutorat sera plus un accompagnement du jeune grâce à un enseignant, à ses pairs, à des élèves plus âgés tandis que le mentorat est un autre type d’accompagnement avec un personnel qui n’a pas un lien direct avec le jeune et qui peut aussi témoigner de son propre parcours et l’accompagner vers une remobilisation.
Il existe d’autres types d’interventions, et par exemple dans le cadre de la réforme du lycée professionnel, des dispositifs comme le parcours ambition emploi ont été réaffirmés, pour sécuriser les parcours et accompagner une poursuite d’étude ou une insertion professionnelle.
Il est important d’investir ce champ de la prévention pour accompagner l’élève tout au long, avec des dispositions qui sont renforcées à travers des réformes, à travers des dispositifs qui se mettent en place, et grâce aux personnes. Les personnes, car c’est une aventure collective (GPDS) portée par le chef d’établissement, par des référents décrochages scolaires, des Psy-En, les personnels du pôle médico-social, les enseignants, les CPE, les coordonnateurs de la MLDS. C’est un groupe qui fédère et qui travaille ensemble pour contribuer à sécuriser les parcours et ces petits moments charnières que sont ces passages de cycle (collège-lycée, lycée-enseignement supérieur), car ce sont des moments sensibles pour lesquels il faut être vigilant, et cela nécessite un travail de concertation et de cohésion pour accompagner le jeune.
Les enseignants jouent un rôle clé en instaurant un climat scolaire serein, bienveillant et une pédagogie adaptée. Le climat scolaire et le climat de classe est un préalable à un apprentissage efficace et équitable mais ce sont les gestes professionnels et l’enseignement équitable et efficace qui génèrent à la fois un climat de classe serein et adapté. Cela passe par structurer son enseignement et le rendre explicite, soit :
- Relier les apprentissages au monde réel pour donner du sens à ce qui est enseigné.
- Rendre explicite ce que l’on veut que les élèves apprennent
- Les accompagner dans la représentation de ce qu’il y a à apprendre (on parle de modelage)
- Soutenir l’activité de tous les élèves pour leur permettre de réussir à apprendre
- Développer la pédagogie de projet et le travail collaboratif dans une logique de réussite
Un autre axe important est de valoriser les progrès plutôt que sanctionner les échecs. Notre système scolaire est ancré sur une histoire de la faute qui enlève des points mais on sait que l’erreur fait partie intégrante du processus d’apprentissage, et démontrer que se tromper c’est aussi apprendre et l’intégrer dans cette logique de droit à l’erreur permet au jeune de prendre confiance.
Autre point important, celui de porter une attention particulière aux relations avec les élèves. C’est évidemment les encourager et écouter chaque élève individuellement, notamment en développant les médiations langagières. Le dispositif Apprenance a beaucoup travaillé dessus, il y a un savoir-faire pour communiquer avec des jeunes qui ont des profils cognitifs différents, des questions clés qui vont lui permettre de se recentrer sur la tâche scolaire ou aller plus loin dans les connaissances et ses apprentissages. Il faut travailler sur l’estime de soi et la confiance en ses capacités, notamment par des pratiques d’auto évaluation régulières, ou encore mettre en place du tutorat avec un adulte référent ou entre élèves.
Et puis collaborer avec les familles et les partenaires, c’est un point essentiel. Il faut renforcer la communication avec les parents, créer une véritable coéducation pour permettre au jeune d’être assuré dans sa sphère familiale comme dans sa sphère scolaire, et puis travailler avec les services sociaux et éducatifs (psychologues, assistants sociaux).
Voilà un panel des gestes que les enseignants mettent en place dans le cœur de la classe et qui permettent d’éviter le décrochage et donc travailler à la persévérance scolaire.
Le premier que je mettrais en avant, c’est la valorisation des réussites, même si elles sont minimes ou pas encore à l’attendu de fin de séance ou de fin de cycle. L’élève a fait une progression, un effort et le fait de le valoriser va contribuer à le renforcer dans son engagement scolaire et donc dans sa motivation. Valoriser aussi les progressions individuelles, on n’est pas sur une performance au sein d’une classe, mais plutôt sur la progression d’un élève par rapport à un continuum d’apprentissage. Le fait de croire aussi en la capacité de chaque individu à apprendre, se transformer, évoluer dans la vie en fonction des contextes sont aussi des valeurs partagées par les membres de l’éducation nationale.
Il y a aussi l’idée de développer des pédagogies actives : pédagogie de projet, travail collaboratif sans se dédouaner de l’enseignement explicite sinon il n’y aura pas d’apprentissage, donc pas de motivation ni persévérance scolaire.
Nous sommes dans la semaine de la persévérance scolaire et chaque année la DRAIO propose une thématique particulière. A été abordé le sujet par le prisme de l’engagement en 2022, celui de l’alliance éducative en 2023 et celui de l’évaluation en 2024. Cette année, le thème est l’impact de la dimension relationnelle sur la persévérance. On ne peut qu’encourager la participation de toutes et tous les acteurs à ce séminaire qui est programmé la semaine prochaine, mercredi 2 avril après-midi.
Quand on reçoit un jeune, ce qu’on a envie de lui dire et ce qu’on doit lui dire, c’est qu’Il existe des solutions et des chemins alternatifs. Revenir à l’école est possible grâce aux dispositifs adaptés et des professionnels qui accompagnent. On peut encore renforcer et déployer nos actions mais il y a déjà des choses existantes. Aussi, ne pas rester seul car il y a peut-être cette idée qu’on est seul concerné par la situation de décrochage, on la subit et on doit l’assumer seul, alors qu’il faut en parler à un adulte, à un professionnel. Cela peut-être un enseignant, un Psy-EN ou un adulte de confiance qui pourra vous accompagner vers d’autres structures si nécessaire. Il y a du monde au sein des établissements mais également en dehors avec nos centres d’information et d’orientation qui accueillent les jeunes, qu’ils soient scolarisés ou pas.
En guise de conclusion, la lutte contre le décrochage scolaire est une priorité nationale et européenne depuis plusieurs années. Grâce à une politique très volontariste et à la mobilisation de tous les acteurs de la formation, de l’insertion des jeunes et des enseignants, les sorties précoces du système éducatif en France sont inférieures à la moyenne européenne. On peut s’en réjouir, cependant, encore trop de jeunes quittent l’école avant d’avoir obtenu un diplôme. C’est pourquoi il est important de mettre en lumière et renforcer les actions engagées, tout particulièrement en termes de prévention.
Le décrochage n’est pas une fatalité : des signaux existent et des actions peuvent être mises en place.
Chacun a un rôle à jouer : enseignants, familles, institutions, élèves, et l’école doit s’adapter aux besoins des jeunes pour favoriser la réussite de tous.
Un grand merci à tous les collègues qui ont contribué à la réflexion pour réaliser ce podcast. Ont été mis à contribution Madame Geoffray, présidente de jury pour une certification appelée CPLDS (Certificat de professionnalisation à la lutte contre le décrochage scolaire) accessible aux enseignants et CPE, Madame Agnès Cottet-Dumoulin qui est notre doyenne du collège des IEN ET /E / IO, Monsieur Sylvain Joly du CAREC, Monsieur Jean-Christophe Larbaud de l’EAFC et Madame Corinne Tourenne de la DRAIO et à l’équipe communication du rectorat. Un petit message également à tous ceux avec qui nous travaillons, de près ou de loin mais ensemble, pour la réussite des jeunes.
A. LATOUR : Je dirais une maîtresse de CP qui prenait le temps de nous lire des passages de l’Odysée d’Ulysse, c’était une pause dans les apprentissages qui nous menait à rêver et imaginer, je crois que c’était une chance à l’école de vivre ça.
D. MARTIN : Moi, ce n’est pas un moment, ce sont des rencontres avec des enseignants engagés, passionnants. J’ai souvenir d’un professeur d’histoire en première qui nous racontait l’histoire à sa façon avec cette mise en perspective, qui développait chez nous un esprit critique alors que nous étions jeunes adolescents plus plus, et évidemment il y avait cette soif d’apprendre et de vouloir changer le monde. Il y aussi un professeur de philosophie qui m’a beaucoup marqué, il nous a émancipé et aider à penser autrement le monde, et un dernier, un professeur en STAPS qui intervenait sur tout ce qui était théorie de la motivation et qui était passionnant. Ces rencontres, c’est une des raisons pour lesquelles je me suis engagé dans ce métier.

"Questions-Réponses", une série de podcasts de l'académie de Grenoble qui mettent en lumière les métiers des Hommes et Femmes de l'académie à travers des interviews courtes et inspirantes.
Retrouvez les dans leur intégralité !
Mise à jour : mars 2025